Je ne connais pas mieux que le bikepacking pour distendre le temps et en quelques jours moissonner une montagne de sensations, d’émerveillements, de fous rires et d’instants de fraternité. Dans cette perspective, j’organise les 727 pour participer à une chaîne vertueuse, dans un esprit de partage qui favorise les qualités aux quantités, la coopération à la compétition, et tente de démontrer par l’exemple qu’un autre monde est possible.
Je revendique les 727 comme le contraire des évènements qui respectent la vieille économie du toujours plus, économie insoutenable parce qu’elle nécessite un développement exponentiel : faire payer plus cher pour investir dans la communication pour attirer davantage de monde, puis faire payer plus cher, avec au passage une accumulation des externalités négatives. Pousser les participants à se dépasser, leur interdire de s’entraider, flatter leur ego déjà démesuré, fliquer avec des points de contrôle couperets, limiter la durée de l’épreuve… En résumé : promouvoir un mode de vie à l’opposé de celui que l’époque exige. Brosser dans le sens du poil, cultiver les travers, s’en nourrir. Je me contre-fiche que mes positions irritent le poil. Pour moi, tout est politique.
Je n’ai pas beaucoup plus de respect pour les businessmen du bikepacking que pour les narcotrafiquants qui comme eux se nourrissent des faiblesses humaines. Au contraire, j’ai envie de m’appuyer sur nos forces. Il ne s’agit pas d’aller les uns contre les autres, mais ensemble. Ainsi les 727 sont au moins autant philosophiques que cyclistes, et je crois que les participants ressentent les valeurs qui les sous-tendent même quand ils viennent pour se battre contre le temps et un chronomètre dont ils sont les seuls à se préoccuper. J’espère que ces valeurs les pénètrent, leur donnent des envies de nouvelles aventures et leur ouvrent des perspectives sur des pratiques sportives et récréatives alternatives.
De mon côté, d’un point de vue purement égoïste, les 727 me procurent beaucoup de joie et gravent en moi des moments inoubliables. Quelques flash-back sur le i727 2024.
Moments de satisfaction
C’est bête, mais chaque fois que je reçois un mail HelloAsso pour me dire qu’un nouveau participant s’est inscrit, je souris, non pas parce que 35 € entrent dans la caisse de l’ECP, mon club vélo, mais parce que, par le bouche-à-oreille, un bikepacker a décidé de consacrer une petite semaine à un 727. J’anticipe notre rencontre, me dit que, peut-être, nous deviendrons amis de pédale et au-delà amis d’une conception de la vie. Parce que consacrer une semaine à un évènement qui ne se targue d’aucune dorure, ce n’est pas rien à mes yeux. J’apprécie la confiance autant que l’état d’esprit. C’est comme acheter un cadeau avec un emballage en papier kraft sans trop rien savoir de son contenu, en se fiant à la bonne parole du commerçant.
Je suis aussi heureux d’avoir encore simplifié l’organisation. Pas de repas prépayé, mais un restaurant partenaire où chacun commande ce qui lui fait plaisir la veille du départ.
Enfin, Geogram a fonctionné sans flancher, permettant à ceux qui souhaitaient de se géolocaliser pour informer leurs proches de leur progression.
Moments de retrouvailles
Parce qu’au fil des 727, et de bien d’autres évènements, nous formons peu à peu une grande famille de bikepackers vététistes ou gravellistes. Si je partage gratuitement mes traces, je tiens à organiser deux grands départs chaque année parce qu’ils sont l’occasion de retrouvailles avec de véritables amis, même si nous ne nous retrouvons que par intermitence.
Moments d’alchimie
Si certains bikepackers aiment la solitude, je suis un bikepacker sociable (ce qui est un comble pour un solitaire de nature). Je m’émerveille toujours de voir un groupe s’agréger au fil des kilomètres, devenir une famille soudée qui jamais n’abandonne un de ses membres. Je n’éprouve aussi puissamment cette alchimie que sur les 727, peut-être parce que j’en suis l’organisateur, peut-être parce que leur philosophie percole et crée un climat propice à la coopération.
Moments de solitude
Quand je me retrouve sous un soleil de plomb après Minerve, sans force, à lutter coup de pédale après coup de pédale avec pour unique espoir de trouver bientôt un arbre où m’arrêter pour souffler, à maudire mes compagnons qui ne semblent pas vouloir m’attendre, mais qui bien sûr se sont arrêtés au virage suivant, et cette certitude, cette confiance inébranlable en eux, me donne le courage de continuer, plutôt que de faire demi-tour et rentrer chez moi. Bien souvent, je suis capable de persévérer parce que je sais que je ne suis pas seul.
Moments de révélation
Je n’ai jamais eu aussi peu mal aux fesses en bikepacking qu’avec mon tout-suspendu, alors que j’utilise la même selle que sur mon semi-rigide. Pas prêt de faire marche arrière sur les parcours VTT. En prime : énorme pied dans les descentes. Je finis moins fatigué que d’habitude.
Le plus compliqué avec un tout suspendu, c’est le sac de selle. Malgré, le limiteur de selle télescopique, le sac raclait parfois ma roue arrière. Soit je trouve un sac mieux adapté, soit je bascule sur une solution Tailfin.
Moments photo
Moments de colère
Quand un abruti au volant de son 4x4 emmerde les promeneurs et les cyclistes sur les pistes du Salagou, qui plutôt que se barrer vite se traîne. Je remonte à la hauteur de sa fenêtre pour lui dire ce que je pense, et lui de me dire qu’il a bien le droit d’être là, et moi de lui faire remarquer qu’un connard comme lui réussit à pourrir la vie d’au moins une centaine d’amoureux de la nature. Alors je le double, et les copains le doublent, et nous l’empêchons de nous dépasser jusqu’à bifurquer vers les singles des rives.
Mais on recroise le lendemain des abrutis de la même espèce, attroupés devant un corps de ferme, peut-être avant un mariage. Ils bavardent à côté de leurs grosses bagnoles moteur allumé. Ou cette femme qui attend dans sa voiture, aussi moteur allumé, pendant que son mari va acheter le pain et que nous, de notre côté, nous goinfrons de viennoiseries.
Le pompon revient aux zigues qui au milieu de la nuit s’amusent à rouler sur les pistes à fond de train, projecteurs allumés, et qui nous réveillent en sursaut, et aussi manquent de peu de nous écrabouiller.
Trop souvent, j’ai du mal à comprendre mes semblables. Vivons-nous dans le même monde ? N’ont-ils pas encore pris conscience que des dérèglements étaient en train de rompre tous les équilibres et de précipiter nos enfants, et déjà nous-mêmes, dans le chaos ?
Le bikepacking est une réponse, une façon de vivre autrement ses vacances, son rapport à la terre, à l’air, à l’eau, de se placer dans une temporalité plus douce, plus lente, et alors les excès inverses me paraissent insupportables. Je ne suis pas respectueux des irrespectueux.
Moments de tristesse
Quand nous nous séparons après avoir bu un dernier verre en terrasse de café à Poussan, quand chacun regagne sa famille, sa vie, et que les liens que nous avons tissés se détendent, mais déjà avec la promesse de retrouvailles pour de nouvelles aventures.
Tristesse aussi quand la cliente d’un restaurant écoute notre conversation et demande à son compagnon « C’est quoi le gravel ? » et qui quand nous proposons une explication nous accuse de l’écouter, mais refuse que nous lui adressions plus avant la parole. Cette attitude m’a ébranlé. Comment rejeter une connaissance nouvelle ? Combien faut-il être étriqué dans sa tête pour se fermer à l’inconnu ? En cet instant, je me suis mis à douter de l’humanité. Si nous sommes nombreux à ressembler à cette femme, nous sommes vraiment mal barrés.
Enfin tristesse amère de voir un concurrent tricher, quitter la trace à la moindre difficulté, esquiver par la route, mais après prétendre avoir bouclé le i727 en intégralité. Je ne veux pas de gens comme ça sur mes randonnées, qu’ils restent chez eux, je ne veux plus jamais avoir à faire à eux.
Tout le monde a le droit d’avoir des coups de mous, des coups de blues, surtout dans l’effort extrême, mais la dignité c’est de le reconnaître et ne pas s’inventer une vie de pacotilles pour briller aux yeux de la galerie. En juillet dernier, quand je me suis retrouvé seul sur le tour du massif vosgien, j’ai aussi coupé, joué avec la trace, mais je n’ai pas dit le contraire.
Ce personnage vit non seulement dans l’ancien monde, où il faut frimer avec des quantités chiffrées plutôt que par des qualités, mais il est aussi dans la corruption de ce système. Il tente de le détourner à son seul profit. Malheureusement pour lui, il n’est pas assez habile pour cacher ses mensonges. Je termine là mon réglage de compte. Comprenez que me retrouver face à un tel imposteur me procure beaucoup d’amertume. J’en éprouve une réelle souffrance, parce que je crée les 727 justement pour aller contre ces pratiques. Un 727 n’a pas à être corrompu parce qu’il n’y est question d’aucune compétition. Si on ne peut être intelligent seul, notion d’interligence proposée par Jean-François Morfin, on peut être con tout seul, sans aucun problème, sans même en prendre conscience.
Moments de trouille
Quand deux bestiaux émergent d'une flaque de boue, nous menacent, bloquant le passage, ruant des pattes arrière. Longue hésitation, statu quo des deux côtés, puis j’avance en me protégeant de mon vélo. « Ils vont charger… » Pas question de faire demi-tour. L’un des monstres, semi-cochon semi-sanglier, hybride fabriqué par les chasseurs, prend de la hauteur, alors j’enfourche mon vélo et fonce, et tous les copains après moi.
Aussi quand à fond de train dans une descente nous manquons un embranchement, pilons et comme un zouave je commence à tourner, le temps de voir un éclair foncer vers moi. Réflexe d’accélérer pour me sortir du passage, sinon Will m’aurait découpé en deux avec son Specialized M4 FSR XC, circa 1999.
Mais aussi quand Seb, sur son monster, nous fait quitter la trace pour descendre vers Mons par une spéciale enduro. Et Cyril et Lio à le suivre consciencieusement, pendant que je termine à pied, tout en me disant qu’il fallait être dingue pour passer par là.
Moments de joie
Enrouler des singles, traverser des prairies fleuries, découvrir des points de vue imprenables, assister à des levers et des couchers de soleil féériques, dormir les yeux vers les étoiles, partager des repas, des bouts se saucisse, de l’eau, de la crème solaire… Quel plaisir de vivre durant quelques jours au plus près du territoire, de l’épouser, de l’enlacer dans ses moindres méandres. C’est aussi cela un 727, parfois souffrir, mais pour toujours une récompense tantôt ludique, tantôt culturelle, bien souvent panoramique ou tout simplement humaine. J’ai beau connaître la trace, elle ne cesse de me surprendre.
Moments de projection
Parce que déjà j’anticipe le prochain 727, j’imagine des variantes, de nouvelles explorations pour découvrir et faire découvrir de nouveaux coins. Je ne suis pas rentré du i727 que je pense au g727 de fin septembre, que je veux différent de celui de 2023, tant pour ne pas ennuyer les anciens finishers que pour écarquiller plus grands mes propres yeux.
À très vite les amis, et tous ceux en puissance.
Merci aux copains du club pour leur aide. J’espère vous convaincre de nous accompagner plus nombreux lors des prochaines éditions.