Mercredi 1er, Balaruc

Temps gris, froid, humide. Pas le courage de faire mes 20 km à vélo dans ce maudit cercle de 1 km autorisé. Je marche avec Isa. Mal au dos à rester trop assis, de vieilles pathologies se réveillent d’habitude chassées par le sport intensif.


Expérience bluffante, j’écoute de la musique 8D, je tourne la tête pour chercher le son. C’est comme entrer dans une nouvelle dimension ou traverser une rue bruyante un jour de fête, tout en restant le cul sur sa chaise.


Je poste mon bilan météo de la pandémie. Quand les chiffres sont à la baisse, le brouillard se lève.

Jeudi 2, Balaruc

Nuit cauchemardesque. Le confinement me brise. Mon corps ne trouve plus ses marques. Il m’ordonne de reprendre son rythme habituel et ne comprend pas pourquoi je lui désobéis. Impression de replonger dans les années avant mon burn-out numérique de 2011, de redécouvrir des souffrances oubliées, toutes liées à une sédentarité excessive. Je me vois sur le môle de Sète, encombré d’une foule épaisse, je cours, ou du moins j’essaie, je n’avance pas comme si je manquais de force. J’approche d’un bus, immense, très haut, il démarre, je suis trop petit pour appuyer sur le bouton d’ouverture de la porte. Le chauffeur me lance un regard méprisant et je me réveille.


Ma responsabilité est l’action, en particulier l’action par les mots.


Qu’est-ce que nous changeons dès aujourd’hui dans nos vies pour que demain soit différent ? J’ai l’impression d’avoir tout changé il y a quinze ans en renonçant à une vie cosmopolite pour m’enraciner dans mon village natal. Je ne vois pas ce que je pourrais changer à nouveau. Je ne peux pas demander aux autres d’être plus lucides que moi, d’être encore capables de faire un saut quantique dont je n’ai plus la force. Mais si nous ne changeons rien individuellement, nous ne changerons rien collectivement.


Ce soir, nous approchons peut-être du pic de la pandémie en même temps que ma simulation approche de son horizon. Un commentateur qui travaille en préfecture me dit que mes chiffres l’aident, deux bonzes lui tombent dessus, il leur répond que mes chiffres tempèrent son cerveau, et c’est bien leur seule utilité, lutter contre l’anxiété, en relativisant la crise, en la distanciant, en occultant son côté macabre tout en évitant de dramatiser.

Salon
Salon

Vendredi 3, Balaruc

Je rigole quand j’entends dire que 8 % des élèves ne donnent plus de nouvelles à leurs professeurs parce qu’ils n’auraient pas d’accès internet. Peut-être qu’ils s’en foutent, non ? Je dois me battre avec mes fils.


J’ai rechuté ce matin, j’ai écrit un nouveau billet sur le coronavirus, avec fébrilité comme chaque fois. Il s’agit d’éjaculations et non d’écriture.


J’appelle des copains, des copains m’appellent, nous nous donnons presque davantage de nouvelles que d’habitude, parce seul on pense à soi et à ceux qu’on aime. Cette introspection nous plonge dans un état mental propice aux rêves. Seb Musset me parle de sa vie à Paris. Des boutiques aux rayons plus vides que dans le Midi. Des flics absents qui ici nous guettent au moindre rond-point, nous traquent dans les bois et les garrigues. Nous sommes dans le même pays, mais vivons des confinements à géométrie variable.

Samedi 4, Balaruc

Petit matin limpide au-delà de mes fenêtres. Calme plat, les cloches de l’église portent jusqu’à moi. L’étang d’huile rose. Mon voisin pêcheur lève son filet, le filet calé par mon père, et même mon grand-père, un filet toujours là comme le bateau de Thésée dans le port d’Athènes.

Calme
Calme

Je suis déjà accro aux stats de Google analysant le confinement pays par pays (et qui au passage révèlent une fois de plus que nous sommes traqués en permanence).


La littérature est un combat. Comment rester silencieux en temps troublé ? Je ne comprends pas comment la plupart des écrivains réussissent à se taire. On ne doit pas entretenir le même rapport aux mots. Quand je dis ne pas pouvoir faire autrement qu’écrire, j’en fais la démonstration au grand jour durant la pandémie, j’exprime ma pathologie. Ceux qui ne m’imitent pas sont moins malades qu’ils le prétendent en temps ordinaire. Ou ils sont infiniment plus sages que moi, infiniment plus discrets. Pour ma part, je ressens une urgence de dire, non pas pour me montrer, mais parce que dire m’aide à vivre, à comprendre, à partager.

Je ne suis pas gestionnaire, je ne mène aucune économie littéraire, aucun calcul, je me moque de surproduire, d’être moins bon de temps à autre, voire médiocre, je n’ai aucune peur, aucune honte, je ne pense pas aux conséquences de ce que je fais pour mon business d’auteur. Je vis la littérature comme je respire, je la vis comme je peux, tant bien que mal. Je connais des auteurs crispés à l’idée de la moindre faute d’orthographe, je me suis délesté de ces préoccupations depuis longtemps, peut-être parce que j’ai toujours fait beaucoup de fautes, et que, si elles me faisaient peur, je n’aurais même pas commencé à écrire. Les fautes se corrigent, les petites imprécisions grammaticales aussi, la littérature, quant à elle, est une course, une bataille entre soi et le texte, une fresque peinte à coups de revolver.

Après le confinement, les éditeurs recevront des montagnes de manuscrits, des manuscrits produits par l’oisiveté, des manuscrits non nécessaires, à jeter sans même les ouvrir.


Je teste Zwift, le simulateur de vélo d’appartement. J’avais reçu le home-trainer Saris M2 il y a deux semaines, mais je ne n’avais pas réussi à y monter un vélo faute d’un axe traversant ad hoc. J’ai fini par mettre une tige filetée de 12. Ça tient, mais pas top pour le vélo. J’ai roulé avec un pneu slick de 29/2.0. Il touchait le sol. J’ai été obligé de remonter le tout avec des cales en bois. Pas fait pour les VTT ce système, et je n’avais aucune envie d’y coller mon gravel en carbone.

Puis j’ai commencé à pédaler. Pour rouler à 25 km/h, je devais dépenser une énergie de folie et sur l’écran je plafonnais à 100 watts. Le truc faisait un bruit abominable. Pendant une heure, j’ai chevauché une perceuse électrique. Plus jamais ça. Je remets le tout dans le carton et le renvoie. Je ne fais pas du vélo pour me faire mal à la tête, et pas juste pour me faire mal aux jambes. Je préfère m’abstenir qu’en être réduit à ce machin.


Pas envie de faire mon bilan météo ce soir. Pourtant, les chiffres n’ont jamais été aussi bons, on dirait que nous avons franchi le col.

Moteur rouge
Moteur rouge

Dimanche 5, Balaruc

Matinée à boucler un article historique sur le coronavirus, avec l’idée qu’il me servira pour mon livre. Je passe des plombes à lire des commentaires, discuter, compléter l’article. Un peu de bricolage, une heure réglementaire de vélo, les journées filent sous une belle lumière.


Nous avons, semble-t-il, attaqué la descente pandémique.

Lundi 6, Balaruc

Intéressante expérience d’écriture. Publier et ne cesser de réviser, étendre, reprendre, sourcer… Depuis hier, j’ajuste mon dernier article sur le coronavirus. Par le passé, à la belle époque des blogs, je publiais, répondais avec de nouveaux articles, le processus créatif se déroulait selon une mécanique plus expansive. Aujourd’hui, je creuse, peut-être parce que ce texte en particulier risque de donner des petits dans mon livre.


La mécanique du texte dans le top des livres les plus achetés en numérique chez le Furet du Nord. Je regarde mes stats. Sur les trois dernières semaines, le Furet du Nord représente 41 % de mes ventes avec 62 exemplaires. Je pense que c’est parce que ce livre est conseillé dans les écoles de journalisme. Des chiffres bien minuscules.

Sète
Sète

Mardi 7, Balaruc

J’écris sur le mensonge éventuel du gouvernement chinois. J’en touche deux mots avec Didier. Il est encore dans le dénie. Depuis février, lui et tous les autres médecins ne pensent qu’à soigner. La vérité historique n’est pas leur problème pour le moment, à nous de la chercher.


Certaines de mes réponses sur Facebook ressemblent à des aphorismes. 1. Tenter de comprendre pourquoi on en est là, nous permettra d’aller plus loin. Voilà à quoi sert l’Histoire. 2. On manque toujours de recul avec l’Histoire, c’est pour ça qu’on la réécrit sans cesse. 3. Si tu ne réfléchis pas à ce que tu vis, tu ne vis pas. 4. Tu as le droit de penser ce que tu veux et de penser de travers. 5. Si on n’a pas le droit de s’interroger sur l’Histoire vécue et d’en contester la version officielle, comment peut-on se libérer du joug des dictateurs ? 6. On me dit « Il y a une différence entre contester la dictature sous laquelle on vit et contester celle des autres. » Je réponds : « Laissons les opprimés se démerder. La prochaine fois que tu seras malade, je dirai à ton médecin de te laisser crever. » 7. Si on n’écrit pas l’Histoire pendant qu’on la vie, quand est-ce qu’on l’écrit ? Une fois mort ?

Walter
Walter

Mercredi 8, Balaruc

À Paris, footing interdit durant la journée. On va nous interdire de vivre pour ne pas mourir.


Trump accuse l’OMS de complaisance avec la Chine. Toujours un peu mal à l’aide quand je pense comme lui, parce que demain ou après-demain il dira une monstruosité.

Soir
Soir

Jeudi 9, Balaruc

Aphorisme du jour : « Des supputations ne sont pas des informations. » J’ai rarement été aussi exaspéré par la bêtise, mais je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même, me confiner pour de bon et plonger en littérature. Sauf que j’écris Adapter pour adopter, que je suis obligé de me confronter au flot des informations indissociable de celui des conneries.


Avec mon GPS, j’écris l’histoire du confinement sur la carte géographique, la gribouillant dans un cercle d’un kilomètre de rayon lors de ma sortie quotidienne d’une heure à vélo.


Depuis deux jours, nous descendons de la montagne morbide.

Cuisine
Cuisine

Vendredi 10, Balaruc

Raoult annonce le résultat d’une nouvelle étude sur la chloroquine : 91 % de guérisons. Mais pourquoi un tel enthousiasme face à une maladie avec un taux de mortalité sans doute inférieur à 1 %. Ce résultat serait très intéressant si Raoult ne traitait que des cas graves, ou que des personnes nécessitant une hospitalisation, mais il soigne tous les positifs. Personne ne le dit, même le Président va le voir. Ce type est malhonnête et dangereux. Ceux qui le défendent aujourd’hui le reconnaîtront-ils ou s’enfermeront-ils dans une posture complotiste ? La médiatisation fait perdre la raison.

Samedi 11, Balaruc

Pourquoi j’écris ces articles sur le coronavirus et notre déplorable gestion de la crise ? J’essaie d’apporter un peu de raison, de calme, de juger avec objectivité la situation. Beaucoup de gens me disent que je les aide, beaucoup d’autres m’insultent. Je dois être masochiste pour m’exposer de la sorte, au risque que les blessures perdurent, qu’elles me coupent de certains de mes amis. Le silence serait plus sage, mais comment se taire dans ce contexte ?


Je termine Des milliards de tapis de cheveux, magnifique livre de SF de l’Allemand Andreas Eschbach (1995). Forme limpide, pas de héros, le lecteur doit se prendre en main de chapitre en chapitre, peinture pointilliste d’un univers terrifiant et mystérieux. Dénonciation du totalitarisme à travers un éloge de l’artisanat. Un livre universel, entre Star Wars et Siddhartha.

Entrées maritimes
Entrées maritimes

Lundi 13, Balaruc

Il pleut, je travaille, j’essaie de me désintéresser du coronavirus, en attendant ce soir le discours du Président. Va savoir ce qu’il nous réserve alors que les autres pays européens préparent leur déconfinement.


Je marche sous la pluie jusque chez ma mère, je lui amène du pain fait ce matin, on discute un moment sur le pas de sa porte, puis je rentre. J’essaie encore de travailler, mais le cœur n’y est pas. L’étang gris sous mes fenêtres me plombe le moral.


On continue la descente et Macron sa descente. Pas la peine d’en rajouter, mais je me crois obligé de le dire tout haut. Je ne vaux pas mieux que lui.


Le geste qui sauve version anglaise se retrouve sur un montage qui buzze… des tranches de livres qui racontent la pandémie.

Clean Hands
Clean Hands

Mardi 14, Balaruc

Des touristes s’installent dans le mobil-home des voisins. Un couple avec deux enfants. D’où viennent-ils ? Je ne vais pas me transformer en délateur, la délation étant devenue un sport national, ce qui en dit long sur la santé mentale de notre pays.

Walter
Walter

Mercredi 15, Balaruc

Trump coupe les vivres à l’OMS. J’ai peur d’une guerre avec la Chine. Je ne pense plus guère qu’aux conséquences géopolitiques de la pandémie.


Je réécoute mon interview de Didier du 3 février au matin. Il me propose d’assister à un congrès interministériel de la sécurité des patients qui devait se tenir à Montreux les 27 et 28 février. Il n’était pas encore pensable pour lui de l’annuler, ce qui nous montre que début février un des grands spécialistes de la prévention et du contrôle des infections n’a toujours pas pris conscience de la gravité de la situation. Ce congrès sera annulé dix jours plus tard.

Samedi 18, Balaruc

Plus les jours passent, plus je me retrouve dans un état physique près burn-out. Mon corps souffre, sans parler de mon épaule avec sa capsulite qui faute de soin empire, sans parler de ma bouche, j’ai perdu une dent, une fausse dent certes, un pivot, mais comme un résumé de la situation. Je suis trop sédentaire, trop emporté par des mots/maux. Le temps lui-même est gris, pas de saison, d’un sombre anglais.


La lumière revient dans l’après-midi, une certaine tiédeur, je prends mon VTT et file dans la garrigue, par devers la loi, je m’en moque, parce que la loi est absurde et qu’elle me détruit. Dans cette garrigue, il n’y a jamais personne. La distanciation sociale est automatique.

Dimanche 19, Balaruc

La grisaille ne nous lâche pas au propre et au figuré. Je me réveille tôt, bien décidé à penser à autre chose qu’à notre situation, je viens dans mon carnet pour y écrire, et puis l’idée devient vite un article. Je petit-déjeune. Me remet au lit pour lire et me rendors. Me réveille dans un état poisseux comme le temps qui me cache jusqu’à la montagne de Sète.

Lundi 20, Balaruc

Walter
Walter

Mardi 21, Balaruc

Pluie, pluie, et encore pluie. Je vis le confinement par écrit interposé. Je doute d’avoir beaucoup de choses à me souvenir, sinon de ce temps passé à écrire, sans réussir à me calmer, frappé par l’urgence, celle de la déraison qui gagne le monde, frappé par mon propre corps qui voit d’anciennes douleurs ressurgir.


Message envoyé à Mediapart : « Je ne m’attendais pas à dire un jour du bien de Plenel, mais j’avoue qu’il est très bon dans son direct sur Brut. J’y ai retrouvé des choses que j’ai écrites et répétées depuis le début de la crise, preuve que nous sommes nombreux à penser la même chose et que cela finira par avoir une influence politique, espérons. Mais j’ai aussi révélé deux erreurs qui peuvent être lourdes de conséquences. Non, les masques ne sont pas notre première ligne de défense. C’est l’hygiène des mains, l’hygiène des mains, encore l’hygiène des mains. Le port du masque ne protège pas vraiment, même dans les transports en commun, si d’abord l’hygiène des mains n’est pas impeccable. Il faut le répéter encore et encore. L’autre erreur concerne le début de la crise. On ne peut pas utiliser la première victime pour dire qu’une pandémie commence. Il faut regarder quand la courbe du nombre de victimes s’affole. C’est le vrai signal. Selon ce critère, l’Italie nous a devancés de beaucoup. » Ils se sont bien gardés de me répondre.


Appel du secrétaire général de la FFC suite à ma lettre ouverte. Discussion détendue.


Longue conversation avec Narvic. On ne s’était pas parlé depuis deux ans et on a repris là où on s’était arrêté la dernière fois. Tout en parlant, une idée saugrenue me vient. Et si la Chine n’avait pas menti sur le nombre de morts, ou quasiment pas. Et si elle avait confiné pour une autre raison ? Parce qu’elle connaissait déjà le virus qui lui aurait échappé… C’est l’hypothèse Trump en définitive.

Mercredi 22, Balaruc

Sur un forum, un gars dit que je suis « Le Finkielkraut du vélo », voilà qui fait mal. L’argument d’autorité est une menace pour la démocratie. Nous devrions nous taire parce que nous sommes incompétents. En quelque sorte, seuls les hommes politiques pourraient parler de politique. Nous serions bien avancés. Nous avons au contraire le devoir de nous intéresser à ce qui ne nous regarde pas, et moins cela nous regarde, plus nous devons être vigilants.


Le 3 février Didier m’a dit que les flacons de gels hydro-alcooliques étaient à 8 francs. Les prix avaient donc déjà commencé à monter, le grand public commençait donc à s’inquiéter alors que les gouvernements montraient une certaine sérénité.

Jeudi 23, Balaruc

Je découvre que la chancelière Merkel est une chimiste quantique alors que nous sommes gouvernés par des juristes, des littéraires, des fonctionnaires, des banquiers et des saltimbanques.

Brume
Brume

Vendredi 24, Balaruc

Nous devions partir ce matin faire le tour de l’Hérault à VTT. Il fait doux, brumeux, de cette brume qui se lèvera bientôt et nous baignera d’une douce chaleur printanière. J’ai envie de chemins, de camaraderie, de sueur, de lumière et de grandes perspectives. Je commence à étouffer, non pas que je manque d’espace chez moi, mais intellectuellement, cette crise nauséeuse me fait douter de beaucoup de mes anciens amis politiques. Nous sommes au bord du gouffre et certains s’y jettent allègrement et accusent ceux qui comme moi restent au bord à regarder le fond qui se creuse.


Mes billets de blog sont inversement lus par rapport à l’importance que je leur accorde.

L’étang
L’étang

Dimanche 26, Balaruc

Mauvaise nuit, une forme de lassitude s’installe, sans doute la fatigue d’avoir trop travaillé depuis début février et pas assez pris l’air. Mon corps hurle, me dit de changer de mode de vie, mais le confinement me l’interdit. Le même mal doit s’installer en chacun de nous, le mal de la déprivation de liberté qui très vite prive d’énergie.

Lundi 27, Balaruc

Hier soir, je me couche tôt, lessivé après une heure de vélo, peu avant minuit j’ai froid, tremble, mal au ventre. Covid ? Ce matin, je suis rincé, cabossé, le ventre encore noué, mon épaule droite ankylosée jusqu’à mes doigts, mes maux se carambolent.


François lit Proust : « Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les œufs durs, les journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s’évertuent sans avancer. » C’est sublime, et François parle de ses propres voyages, et j’aime quand il s’échappe dans ses lectures, et je prends conscience que j’ai toujours associé Proust au voyage, peut-être parce que je ne le lis plus qu’en voyage, surtout quand je prends l’avion, durant des déplacements qui sont des temps perdus tout sauf perdus.

Mardi 28, Balaruc

J’en suis presque au bout d’Adapter pour adopter, du moins de ce que je peux faire sans passer à nouveau quelques jours avec Didier à Genève ou qu’il vienne prendre l’air à la maison.


Je ne dois pas être malade, juste fatigué, un coup de mou, pas de fièvre, de rhume, de toux, je suis à plat, victime du confinement. Tout devrait être changé dans le monde et rien ne le sera. Une fatigue d’impuissance politique avec la tentation de retourner dans mes jardins, la littérature et le vélo.

Soir
Soir

Mercredi 29, Balaruc

Encore une journée de boulot sur Adapter pour adopter, et je le range, je l’oublie pour quelques semaines. Ce texte en est au stade où il m’écœure, où ne je lui vois plus le moindre intérêt, trop de faits, pas assez de narration. J’ai surtout envie d’autre chose, de plus d’intimité, de plus de silence, cesser cette farce autour du covid. Impression d’avoir raté l’occasion. Mais quelle occasion ? Le confinement ne signifie rien pour moi. Il est mon ordinaire. J’appartiens à la catégorie des écrivains confinés par nature, tout le contraire d’un Hemingway.


Je termine La transparence des choses, quel bouquin, quelle jubilation, nous ne nous autorisons plus ces fantaisies : perdre le lecteur, le rendre dingue, dans le seul but de provoquer des électrochocs. Je me sens bien avec Nabokov, je vais faire un bout de chemin avec lui. En revenir à Lolita, au commencement.

Sète
Sète

Jeudi 30, Balaruc

Mal au ventre durant la luit, mini kyste douloureux au périnée, ma capsulite à l’épaule droite qui me lance jusque dans la main et impossible d’avoir un rendez-vous pour un arthroscanner jusqu’à nouvel ordre… Tout va bien. Ma baisse énergétique me fait voir le monde en noir. Le bilan de mon confinement n’est pas radieux. J’ai perdu trop de temps à critiquer, à relever les incohérences, les erreurs, oubliant que mon comportement même était une erreur. À force de tirer à vue, on se brûle les doigts et on n’en fait pas mieux avancer le monde. Est-il insensible à la critique ? Dire sert-il à quelque chose ? Je n’ai jamais reçu autant de messages pour me remercier d’écrire, mais je n’écris que pour respirer, et j’ai oublié de le faire. Face à la disruption du monde, j’ai subi une tempête cytokinique intellectuelle qui me laisse enflammé, perclus de douleurs physiques et mentales.


Pourquoi me plaindre ? L’Histoire est en marche. Je l’ai toujours voulu et la vivre me bouleverse, ou tout au moins bouleverse mon confort douillet. La transition n’est pas une expérience heureuse, la transition heureuse est une utopie. Ma capsulite comme une métaphore du monde. Une petite déchirure incite l’articulation à moins bouger et moins elle bouge moins elle a envie de le faire. Alors le moindre geste devient une épreuve douloureuse. Je ne suis qu’un révolutionnaire bourgeois. Quand la révolution commence à affecter ma vie, je la rejette.