Suite à ma lettre ouverte à la FFC, Yannick Pouey, son secrétaire général m’a appelé pour me répondre de façon officielle et en même temps personnelle, conversation non enregistrée, donc que ma mémoire risque de déformer. Je m’en excuse d’avance.
Bien sûr, ma lettre a déplu à Yannick, surtout par son ton vindicatif. Je lui ai dit avoir fait mien le mot d’ordre de Léon Bloy : « On ne voit bien le mal de ce monde qu’à condition de l’exagérer. » Yannick m’a juré que lui ou un de ses collègues m’aurait répondu même si ma lettre avait été plus modérée, qu’ils tentaient de répondre à tout le monde, ce qui j’imagine doit être une tâche gigantesque par les temps qui courent. Il m’a rappelé qu’il était bénévole. Je lui tire mon chapeau pour son dévouement.
Il m’a demandé de lui résumer mon propos. Je lui ai dit que mon principal grief était que la fédération avait parlé au nom de tous les cyclistes et non de ses seuls adhérents. On n’en serait pas là si cette précision avait été introduite.
Yannick m’a expliqué que la fédération n’était pas vraiment indépendante : le gouvernement a une influence sur elle (pour ne pas dire une emprise). En gros, si j’ai bien compris nuances et sous-entendus, la fédération a dit ce que le gouvernement lui a dit de dire, un gouvernement qui n’a pas osé interdire le vélo loisir/sportif par décret, mais qui a demandé à la plus haute autorité cycliste du pays de le faire à sa place, même si elle est juridiquement incompétente dans ce domaine.
Il faut se replacer dans le contexte de la mi-mars. C’est la panique côté gouvernement. Après avoir nié la gravité de la crise sanitaire durant des semaines, Macron le 6 mars déclarant à la sortie du théâtre : « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie. », c’est soudain le branle-bas de combat. On se réveille, on se rend compte qu’on n’a pas de masques, de blouses, de respirateurs, que les hôpitaux sont sous tension, on est en guerre du jour au lendemain et le bon peuple doit se ranger comme un seul homme derrière nos chefs de guerre. Il n’est pas question qu’un cycliste aille encombrer les services d’urgence déjà mis à mal. Yannick m’a fait une belle analogie. « Si on avait été en 14 ou en 40, on aurait une nouvelle fois pris une belle raclée. »
J’entends l’argument martial, même si je l’estime déplacé, même si je pense qu’il était inadapté, ce que nous démontrent les pays qui ont été plus modérés comme l’Allemagne ou la Suisse et qui s’en sortent mieux que nous face à la pandémie. Mais pourquoi s’en prendre aux cyclistes ? Pourquoi ne pas aussi interdire la trottinette, le roller, le footing ? Pourquoi ne pas mieux réguler les marchés, les supermarchés, les transports en commun ? Pourquoi s’en prendre à nous ? Yannick m’a avoué à demi-mots qu’on avait payés pour tout le monde comme si nous devions servir d’exemple.
Rien du point de vue de la gestion de l’épidémie ne justifiait l’interdiction des sports individuels praticables à partir de chez soi. Les quelques bénéfices éventuellement retirés, moins d’accidents, étant de loin inférieurs aux avantages procurés pour la santé. Encore une fois, le choix de l’Allemagne et de la Suisse nous le montre.
Je comprends maintenant la réaction de la fédération, mais ne l’excuse pas moins. Un fort en gueule à sa tête aurait pu s’opposer au gouvernement, lui faire changer d’avis ou au moins lui faire porter le chapeau, plutôt que d’assumer à sa place. Mieux, ce fort en gueule aurait pu aller chercher des médecins du sport pour argumenter à ses côtés, dans un souci de santé publique. C’est bien la le fond du problème. La décision prise n’a pas servi les Français, un quart d’entre nous pratiquant un sport individuel. Cette décision était à courte vue, une façon de parer au plus pressé, sans la moindre vision d’ensemble.
Avec Yannick, nous avons en suite parlé de l’avenir, le plus important désormais. Il m’a juré que la fédération faisait tout pour le vélo soit au centre de la stratégie de déconfinement, qu’il soit même encouragé, cela le plus vite possible. Peut-être après deux mois d’errance allons-nous finir par imiter les Allemands et les Suisses.
Je lui ai suggéré que la fédération devait écrire des guidelines pour les cyclistes en temps de pandémie. Lister les gestes simples et les habitudes à prendre pour éviter de propager le virus par nos déplacements. Je lui ai même proposé de les aider et de soumettre ces guidelines aux plus grands spécialistes mondiaux du contrôle et de la prévention des infections avec qui je travaille. Yannick a noté mon idée, sans me jurer que la fédération lui donnerait suite.
Plus nous avons parlé, plus nous avons pris conscience que nos points de vue convergeaient plus que divergeaient. Après tout, nous aimons tous les deux le vélo. Nous nous sommes quittés bons amis, mais je resterai attentif. Je n’ai pas envie que les cyclistes soient pris comme bouc émissaire, ce qui est le cas depuis le début du confinement, les cyclistes étant parfois traités comme des malfrats. Lors de mon tour quotidien dans mon cercle d’un kilomètre, j’ai vu des gendarmes me regarder avec un air suspicieux pour le moins désagréable. J’étais à vélo, j’étais coupable de je ne sais quel crime… pendant que des voitures me croisaient en toute impunité. Nous avons du boulot en France.