La loi est censée s’appliquer à tous. C’est-à-dire que chacun de nous, indépendamment ne nôtre âge, de notre éducation, de notre santé, de notre position géographique, nous devons appliquer les mêmes règles.
On dirait que la logique du monde physique a été traduite juridiquement : la gravité qui s’applique à tous transformée en contraintes qui s’appliquent à touxs. Mais si la gravité est toujours là, nous la combattons avec les avions, les fusées ou ne serait-ce qu’en sautant sur un trampoline. Elle nous rattrape toujours, certes.
Mais pourquoi les législations humaines seraient-elles aussi inflexibles, aussi aveugles, faisant preuve d’aussi peu de discernement ? Elles ne le font que par un manque d’imagination des législateurs, que par leur crasse ignorance technologique, et peut-être plus encore par crainte de discrimination.
Quand j’ai relevé l’absurdité de la règle des 1 km/1 heure appliquée durant en confinement en France, on m’a répondu, c’est parce que tu ne vis pas en ville. C’est vrai. Mais pourquoi m’imposer des règles imaginées pour des citadins ? Pourquoi je ne peux pas aller faire du vélo dans la garrigue derrière chez moi, où il n’y a jamais personne, où il est bien rare de croiser un autre vélo ? On me l’interdit parce que si tous les citoyens sortaient en même temps la distanciation sociale serait impossible.
Je ne comprends pas cette logique. Si j’ai quitté Paris il y a déjà pas mal d’années, c’est pour éviter ce problème. Et maintenant, on me fait payer le non-choix de ceux qui restent à Paris. Je rappelle qu’ils y ont des avantages que je n’ai pas où je vis, notamment des avantages professionnels. Donc on me punit pour mes choix que d’autres n’ont pas faits au nom d’autres choix.
Je ne critique pas leurs choix, mais avouez que cette logique d’une seule loi pour tous est quelque peu archaïque. La règle des 1 km/1 heure pourrait être modulée en fonction de la densité de population, modulée en fonction de l’heure, modulée en fonction de la géographie… parce que même en ville, la nuit par exemple, rien ne me semble plaider contre de longs footings ou de longues virées à vélo. Mais non, mettre de l’intelligence dans la loi, de la nuance, semble inconcevable. Alors, depuis Paris, on conçoit des lois pour les Parisiens et on les applique aux provinciaux.
Face à une crise sanitaire, cette attitude frise l’absurdité. Il y a des confinés dans des départements où il n’y aucun cas positif. Pourquoi ne pas utiliser les outils d’aujourd’hui pour créer des régulations dynamiques ? Certains me disent pour soutenir ceux qui n’ont pas autant de chance que toi. C’est quoi cette logique ? Je ne soutiens pas un paraplégique en faisant croire que je suis moi-même paraplégique. Il a même intérêt à ce que j’utilise mes jambes pour faire ce qu’il ne peut pas faire. Un manchot a besoin d’un boulanger pour lui faire son pain. Si quelqu’un ne mange pas à sa faim, nous n’allons pas tous nous priver pour éprouver les mêmes difficultés que lui. Nous pouvons au contraire nous réunir pour le soutenir et partager avec lui notre nourriture. La société fonctionne par l’entraide, une entraide que la loi empêche souvent.
Si on m’autorisait à faire du vélo en garrigue, je vous ramènerais des photos, des vidéos, je pourrais les partager avec mes amis confinés à Paris et je suis sûr qu’elles leur feraient du bien. Ils seraient peut-être jaloux, mais pas plus que moi quand je les vois participer à des rencontres littéraires auxquelles je suis tenu à l’écart dans mon Midi.
Je ne dis pas que toutes les lois doivent être relatives. Bien sûr. Mais que dans beaucoup de circonstances beaucoup de lois devraient l’être. Face à une pandémie, nous sommes dans une telle circonstance. Parce qu’elle n’est pas la même partout, parce qu’elle ne se développe pas de manière homogène, parce qu’elle est dynamique. La réaction actuelle c’est comme si quand on se fracturait un bras, on nous plâtrait aussi l’autre et même les jambes. Cette absurdité ne fait pas peur à nos gouvernants, qui, eux-mêmes, se contrefichent du confinement, continuant à mener leur vie comme avant, ou presque.
Pourquoi ne pouvons-nous pas être plus intelligents ? Je me pose cette question non sans angoisse. Parce que si nous continuons à être con en haut de l’État, nous aurons en bas des réponses cons, et face à des problèmes complexes nous resterons désarmés, les subissant de plein fouet et nous lamentant en utilisant à tors et à travers le mot « sidéré ».
En management, on parle d’agilité, c’est un peu tarte à crème comme concept, mais on aurait peut-être besoin d’agilité en haut de notre État. En apparence, il existe une solution simple, c’est la décentralisation. Mais quand la stupidité s’est déjà propagée d’en haut en bas, la décentralisation est pire que la centralisation. Il suffit de voir nos préfets, puis nos maires, passer des décrets encore plus stupides que ceux qui valent pour tous, au point que l’État central lui-même doit les rappeler à l’ordre.
Du coup, faute d’une intelligence bien répartie, et à cause d’un système électoral qui place les seuls ambitieux à la tête des communes, nous sommes incapables de réagir dynamiquement à une situation globale qui pourtant à des particularités locales. Pour conséquence : frustration, énervement, défiance envers un système qui montre ses limites… Des réactions pas très propices à l’entraide et à ce que chacun se remonte les manches. Ça rechigne dans les chaumières, et ça ne va pas s’arranger.
Une solution ? Il n’existe pas de réponses toutes faites, c’est le propre des situations complexes incompatibles avec les lois univoques, mais utilisons la crise coronavirus pour apprendre. Après un confinement abrutit, essayons de penser un déconfinement intelligent. Nous avons besoin d’apprendre très vite parce que d’autres problèmes nous guettent… le virus lui-même n’étant peut-être pas prêt de disparaître, et, s’il le faisait, il ne faudrait pas trop vite oublier les leçons qu’il nous aura apprises.