Quand j’ai découvert sur les réseaux sociaux que le préfet de Seine-et-Marne avait réquisitionné des chasseurs pour « prévenir et signaler aux représentants des forces de l’ordre » les infractions aux règles locales du confinement, j’ai cru à une blague.
Depuis trois semaines, nous ne cessons de relever les mesures liberticides qui en rien ne nous aident à lutter contre la pandémie : amendes arbitraires, une femme verbalisée parce qu’elle faisait son heure de sport quotidien avec des mocassins, une septuagénaire punie pour être sortie jeter ses poubelles au tri sélectif, le recours à des moyens disproportionnés pour interpeller les contrevenants, des hélicoptères qui traquent les randonneurs en montagne, dans certaines communes l’interdiction de bricoler chez soi et l’interdiction des supermarchés aux jeunes… On pourrait écrire un roman dystopique tant la liste des dérapages est longue, tant chaque chefaillon municipal ou départemental se sent pousser des ailes néfastes.
M’en prenant aux donneurs de leçons en tout genre, j’ai évoqué dès le 20 mars la menace de voir des milices populaires se substituer aux forces de l’ordre. C’est une étape inévitable quand on se dirige vers la dictature. Je ne croyais pas que la première milice serait levée par un préfet, sans que le gouvernement ne la condamne aussitôt. Et, sans le branle-bas de combat médiatique, nous y serions encore.
Je suis désolé, malgré la gravité de la situation, je suis obligé de dire qu’à partir de là les choses deviennent loufoques, tout ça par la faute d’Isa qui a commencé à effectuer des recherches sur notre petit potentat amoureux des chasseurs. Mais qui est-il ? Qu’est-ce qui lui a passé par la tête ? Je ne veux pas faire le procès d’un homme mais d’un système qui nous gangrène, d’un homme qui n’est que le représentant d’une lignée insalubre, vivant dans un monde suranné.
La lecture de la fiche Wikipedia de Coudert est tout simplement hilarante. On y découvre « un homme politique, haut fonctionnaire et écrivain français » qui a mangé à toutes les écuelles naviguant du PS à l’UMP. Science Po, ENA, on a toute la collection des prérogatives administratives Françaises, toutes celles qui cumulées ont plombé nos hôpitaux depuis vingt ans et même davantage.
Mais pour prendre la mesure du personnage, il faut sauter à sa bibliographie. Après avoir commis La République féodale : ces nouveaux princes qui nous gouvernent, qu’il connaît bien puisqu’il en fait partie, Jardin à la française : plaidoyer pour une république de proximité, surtout proximité avec les chasseurs, Cartier, 1899-1949 : le parcours d’un style, parce qu’il faut avoir la classe et dès lors s’affirmer sans honte comme un mondain amoureux des mondanités, sujet des deux tomes de Café society. On sent un homme du terroir, qui s’intéresse au peuple, qui se préoccupe de son bonheur matériel et spirituel.
— C’est un gag, je dis à Isa.
— Tu crois que c’est une IA qui a pris les commandes de la préf de Seine-et-Marne et qui se fout de notre gueule ?
Elle décoration, la référence littéraire, écrit de Café society :
Cet ouvrage magnifique (…) est d’abord un voyage dans l’élégance et la volupté. Mais au-delà, c’est encore et peut être surtout une mine d’idées de décoration, d’agencements, de mariages de teintes, d’audaces. Chaque image est une offrande gracile et lumineuse pour laquelle photos, dessins, textes, gribouillis chics et coupures de presse, traits de plume et traits d’esprit se livrent une joute où tout scintille. Une avalanche de pages émouvantes comme un soupir proustien.
C’est donc l’auteur de ces livres qui invoque à l’aide les chasseurs, peut-être nostalgique des grandes véneries et d’un ordre monarchique où les gueux n’avaient qu’à rester chez eux et fermer leur gueule.
La fin de la fiche Wikipedia est non moins hilarante : « Thierry Coudert est officier de la Légion d’honneur, commandeur des Arts et des Lettres, chevalier des Palmes académiques, du Mérite agricole et médaille d’honneur de la jeunesse et des sports. » Et puis quoi encore ? Maître occulte de la société secrète des chasseurs ? Qui d’ailleurs partout en France, et malgré le confinement, continuent de faire chauffer leurs armes sous prétexte que les sangliers pullulent… comme si nous n’étions pas capables de les piéger (les sangliers, pas les chasseurs, mais parfois l’envie m’en prend surtout quand je fais du vélo et qu’ils pointent vers moi leurs armes et leur nez rouge).
Isa me dit :
— Vas-y pas trop fort quand même, il est pour le mariage homo !
C’est de la faute d’Isa si je prends cette histoire à la rigolade, mais sinon j’en pleurerais. Vivons-nous au XXIe ou XIXe siècle ? Sommes-nous sous le règne de Macron ou de Pétain ? Le coronavirus a-t-il provoqué une distorsion temporelle ? Sommes-nous revenus en monarchie ? Ou sommes-nous à la veille de la dictature ?
Lisez la fiche en entier, elle en vaut la peine. Elle nous en dit long sur notre république bien au-delà des bananes.
« En octobre 2008, il prend la direction de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) qui a été créé quelques mois auparavant, fonction qu’il assure jusqu’en 2013. » Il sait donc de quoi il s’agit une pandémie. Il avait tout prévu, c’était peut-être calculé de longue date pour les chasseurs. Mais ça se corse et tout s’explique : « Le 6 juin 2014, il est nommé par décret délégué ministériel aux coopérations de sécurité, chargé du dialogue entre les services du ministère de l’Intérieur et les acteurs concourant à la sécurité publique, notamment les représentants des polices municipales et du secteur de la sécurité privée. » Nous y sommes. C’est ça, donnons les clés de notre sécurité à des milices privées.
J’arrête, j’ai envie de vomir, les bras m’en tombent. Le bougre s’est rétracté à vitesse grand V, mais il mérite qu’on l’enferme dans un placard et qu’on le laisse écrire son chef-d’œuvre, le tome trois de sa trilogie, dont Elle Décoration a prévu de faire sa couv.