Pendant que beaucoup d’auteurs parlent des oisillons qui se posent sur leur balcon, des abeilles qui se réveillent dans leur jardin, ou de leurs ados qui crisent (j’ai tout ça aussi et même une malade à la maison), le confinement me rend furieux et ne me laisse pas une seconde pour respirer.
Je ne suis pas furieux parce que je suis confiné, je le suis à cause de ce que je ressens, de ce que je vois, surtout de ce que je lis et entends dans les news : la déraison d’État. À croire que tout la haut ils n’ont pas compris les règles élémentaires de la prévention et du contrôle des infections (PCI), qu’aucun spécialiste de ce champ médical n’est à leur côté ou qu’ils ne l’écoutent pas, ivres de leur propre délire autoritaire. Le but n’est plus de théoriser sur la vitesse de propagation du virus, mais de lutter contre lui avec sérieux et rigueur.
Pour rappel, à la fin des années 1990, le taux d’infections nosocomiales, les maladies acquises à l’hôpital, était de 18 % dans les meilleurs hôpitaux du monde. Aux HUG de Genève, où Didier Pittet a mis au point le gel hydro-alcoolique, ce taux est aujourd’hui tombé à 4 % environ, la mortalité associée a donc été divisée par quatre.
Face à cette pandémie invisible qui tue chaque année des millions de personnes dans le monde, des milliers en France, qu’avez-vous fait gouvernement ? Quels moyens avez-vous donnés aux hôpitaux pour mettre en place des services de PCI efficaces ? Rien, ou presque. Vous avez laissé courir les maladies nosocomiales, interdisant à la culture de la prévention d’entrer dans les mœurs en profondeur (même inaction que face à la crise écologique).
Que s’est-il passé en Italie ? Comme nous la PCI n’y est pas mise en avant, alors quand un premier malade débarque à l’hôpital avec le coronavirus, il infecte tout le service, et ça explose, et ça se propage, et ça touche les médecins, puis ça ravage les Ehpad.
Cette culture de la PCI exige un apprentissage, elle n’est pas intuitive, pas théorique, elle se répète sur le terrain jour après jour, elle se contrôle, des chiffres doivent sans cesse évaluer le taux de maladies nosocomiales pour estimer si les conditions d’hygiène sont bonnes.
Alors quand cette culture n’est pas ancrée dans l’hôpital, quand les moyens ne lui ont pas été donnés pour la déployer, comment se pourrait-il qu’elle percole à l’extérieur au moment où en temps de pandémie la société dans son ensemble devient hôpital ?
Le gouvernement a parlé de distanciation sociale sans lui-même être capable de faire appliquer les règles à son propre personnel, qu’il envoie au front sans formation, comme jadis les Russes ses hommes à Tchernobyl. Le confinement s’accompagne de mesures qui démontrent l’incompétence absolue et en sape l’utilité.
- L’attestation de déplacement à imprimer sur papier, donc à donner aux forces de l’ordre qui nous contrôlent, qui la prennent en main, la lisent, nous la rendent et leurs virus avec. C’est juste monstrueux comme mesure. Et les ministres de dire que sur papier c’est mieux pour nous dissuader de sortir. Mais quelle bande d’ignares. Pour bien faire avant de donner mon papier à un policier, je devrais me frictionner les mains avec du gel hydro-alcoolique et il devrait faire de même, tout en respectant le protocole de friction adéquat. Et tout d’abord je devrais être incapable de lui tendre ce papier si je respectais la distanciation sociale. Je devrais déposer le papier par terre, m’éloigner, laisser le policier le ramasser, le lire… et espérer qu’il ne lui postillonne pas dessus. Cette mesure est un non-sens épidémiologique. Voilà pourquoi, après les médecins, les policiers tombent comme des mouches. Ils sont les premiers irradiés, donc les premiers à propager le virus. C’est un comble, alors qu’ils sortent pour aboutir au résultat inverse. Le gouvernement les a envoyés sur le lieu de l’explosion nucléaire en oubliant de leur parler des radiations.
- On nous interdit de faire du sport alors que les gouvernements allemand et belge conseillent le contraire, à juste titre, parce que l’exercice stimule le système immunitaire, parce que quand nous respirons intensément, on nettoie nos poumons. « En clair, c’est une protection optimale contre le virus », déclare Michael Barczok, un pneumologue allemand qui conseille son gouvernement. On devrait donc exiger que nous sortions faire du sport, car en restant confinés nous allons prendre des risques. Faire du vélo, courir, marcher en montagne, en forêt, au bord de la mer, dans les parcs, c’est bon pour la santé, hier comme aujourd’hui en temps de pandémie. Les règles médicales n’ont pas changé. Il suffit de faire ces activités en respectant la distanciation sociale. Alors les forces de l’ordre auraient leur rôle. Tout en restant à distance, elles pourraient expliquer, conseiller, encourager. Nous ne savons que verbaliser, sans bonne raison, même pour les bonnes raisons. Est-ce le moment de punir quand il faut expliquer encore et encore ? Est-ce ainsi qu’on fait progresser un élève ?
- Les transports publics quant à eux tournent comme avant, soi-disant pour ne pas paralyser le pays et l’économie. Mais est-ce raisonnable ? Ces bus, ces trains, ces avions, ces métros sont des usines à contamination. Ils devraient être perpétuellement désinfectés à la javel ou autre désinfectant puissant. Tout le monde devrait y porter des masques, se frictionner les mains avant d’y monter, avant de toucher quoi que ce soit. On devrait nous encourager non seulement à limiter nos déplacements, mais à les faire avec des moyens de transport privé, ou de maximiser les déplacements à pied ou à vélo (ce qu’encourage le gouvernement allemand). Nous limiter à 500 mètres de chez nous n’a aucun sens. Ce n’est pas la distance le problème, mais les comportements inadéquats, comme maintenir des activités économiques non essentielles, où la distanciation sociale est impossible.
- Puis les commerces et les marchés fonctionnent comme avant, encore une fois sans avoir intégré les règles de la PCI, donc deviennent des bouillons de culture. Là aussi il faut expliquer, expliquer que votre boulanger peut vous infecter s’il est lui-même infecté…
Le confinement total, mais bancal, ce n’est pas de la PCI mais de la politique spectacle comme l’a déclaré Alain Berset, ministre de l’Intérieur et de la Santé suisse. Si cette stratégie était employée dans les hôpitaux, il n’y aurait pas d’hôpitaux. Mais nous sommes devenus un hôpital géant, nous, tous ensemble. Et on nous ordonne de ne plus être un hôpital, de ne plus former société. C’est l’écroulement, l’effondrement, une réponse moyenâgeuse à un mal récurant. On dirait que nous n’avons rien appris depuis des siècles, que nous ne pouvons pas faire preuve d’intelligence. Les mesures d’aujourd’hui sont aussi aveugles que contre la peste noire. Elles démontrent le mépris des gouvernants pour les citoyens.
En ces moments de crise sanitaire, des médecins spécialistes de la PCI devraient être entendus au plus haut de l’État, c’est eux qui devraient décider, pas les bonzes sans culture qui n’écoutent que d’une oreille brouillée par des considérations politiques. Pour preuve de leur incompétence, depuis des années, ils ont donné la direction de la plupart des hôpitaux à des administratifs, des membres de leur sérail, alors que partout dans le monde, les meilleurs hôpitaux, les plus réputés, sont dirigés par des médecins. Nous assistons à l’échec des managers qui ont fait des écoles de managements. Des MBA. Et qui n’y connaissent rien à rien sinon à réseauter, un peu comme ces entreprises qui ne produisent rien et ne fonctionnent que grâce à l’endettement.
Il n’est pas trop tard pour nous éduquer, pour changer les règles, pour nous faire grandir collectivement, qu’ensemble nous apprenions quelque chose qui perdurera dans le temps, un nouveau savoir vivre en communauté. Mais des hommes et des femmes sans discernement nous gouvernent. La panique s’est saisie d’eux, et chaque jour ils font un pas de plus vers l’extrémisme et l’autoritarisme, alors pas étonnant que des petits malins se révoltent, se rebiffent, et plus le gouvernement durcira ses mesures inadéquates, plus une réponse populaire elle-même inadéquate s’amplifiera, conduisant à rendre inutile le confinement ou à retarder ses effets (ce qui se passe en Italie, la connerie individuelle répondant à la connerie d’État).
Les virus ne circulent pas en force mais avec une certaine intelligence. Essayons de faire mieux qu’eux, pas de bêtement tenter de les écraser avec nos tapettes à mouches. Après le confinement, le virus sera toujours présent, nous vivrons toujours dans un hôpital géant, et nous nous infecterons à nouveau faute d’avoir compris. On dirait que le gouvernement s’est résolu à cet inéluctable, qu’il ne cherche qu’à soulager les médecins qu’il maltraite depuis des années, qu’à éviter l’engorgement des services de réanimation et de soins intensifs. Il est prêt à ce que nous tombions majoritairement malades, pour peu que ce soit étalé dans le temps. Il ne lui vient pas à l’idée qu’on peut lutter contre les maladies nosocomiales, ce qu’est devenu le coronavirus puisque notre société est désormais un hôpital géant. Attention, je ne dis pas que le confinement ne portera pas ses fruits, surtout quand il sera durci parce que cette voie a été choisie, mais j’aurais aimé qu’il donne de beaux fruits et nous aide à construire l’harmonie plutôt qu’à la désintégrer. Est-ce déjà une occasion ratée ?
« C’est le malheur des temps que les fous guident les aveugles. » William Shakespeare, Le Roi Lear