Tout le monde a parlé de la recette OMS, moi le premier, sans vraiment expliquer comment on pouvait la mettre en œuvre chez soi, quand on ne dispose ni de béchers ni d’autres ustensiles de laboratoire. En relation avec les spécialistes des HUG, lieu d’invention des solutions hydroalcooliques modernes, je suis arrivé à une recette pratique qui ne nécessite qu’une balance électronique comme nous en utilisons en cuisine.
Mais d’abord, un petit retour en arrière. Du jour au lendemain, fin février 2020, une recette a fait fureur, promue même par des pharmaciens : 50 ml de gel d’aloe vera, 10 ml d’alcool, 10 gouttes d’huile essentielle de ravintsara et autant d’huile essentielle d’Eucalyptus. Tout le monde s’est mis à la reproduire sur les réseaux sociaux, sans chercher à en questionner la validité.
Le gel d’aloe vera est surtout connu pour ses propriétés hydratantes et apaisantes de la peau. Il peut éventuellement remplacer la glycérine utilisée dans la formule OMS, mais à condition d’en connaître les caractéristiques, comme sa masse volumique pour adapter les formulations. Très bien. Au tour des deux huiles essentielles, de propriété assez proche. Depuis les travaux de Leonid Buchholtz en 1875, nous savons que certaines de ces huiles, de thym par exemple, sont bactéricides et virucides, mais nous savons aussi que leur pouvoir est des dizaines de fois inférieur à celui de l’alcool et surtout que leur spectre d’action est plus réduit.
Que ces huiles une fois ingérées en quantité infime boostent le système immunitaire, pourquoi pas, mais que déposées dans les mêmes quantités sur nos mains elles tuent les pathogènes, c’est une tout autre histoire, qui si elle était vraie serait une bénédiction. Imaginez lors de la crise Ebola, arriver avec une bouteille d’huile essentielle en Afrique de l’Ouest et avec quelques gouttes par-ci par-là créer des litres et des litres de solution. Malheureusement, ce n’est pas très sérieux. On utilise l’alcool parce que nous n’avons pas trouvé mieux.
Quelques gouttes d’huile essentielle suffiront donc tout au plus à parfumer les solutions. Enfin l’alcool, dont le dosage n’est même pas précisé. Pour être efficace, il doit au minimum se retrouver à 65 % dans la formulation, 75 % étant préférable. Dans cette recette, il sera présent à 20 % tout au plus, donc en quantité bien trop insuffisante. Nous obtenons finalement une solution très agréable à appliquer, mais avec un pouvoir antiseptique limité qui n’aura aucun effet après 30 secondes de friction.
Quand une pharmacie promeut une telle recette, c’est criminel, presque autant que quand il s’agit d’un YouTuber d’ailleurs. Des gens vont se croire protégés alors qu’ils ne le seront pas et ils transmettront les pathogènes malgré eux.
Cette formule a elle-même été adaptée des dizaines de fois, avec pour seul effet de faire s’envoler le prix de ses composants. Reste que quand le besoin de solution hydroalcoolique s’impose, il faut que tout le monde puisse en disposer. Voici la recette à laquelle nous avons abouti. Plutôt que de travailler en volume, nous travaillons en poids.
1/ En pharmacie, acheter de l’éthanol à 90 %, de la glycérine à 98 % et de l’eau oxygénée à 3 %, logiquement disponibles.
2/ Récupérer un ancien flacon de solution ou de gel de 100 ml et le laver au savon, puis le sécher.
3/ S’installer dans un local aéré, à température ambiante.
4/ Déposer le flacon sur une balance, la remettre à zéro.
5/ Verser dans le flacon 73 grammes d’éthanol, puis 2 grammes de glycérine, puis 4 grammes d’eau oxygénée et enfin 6 grammes d’eau distillée ou d’eau au préalable bouillie durant 20 minutes (pour les petites quantités, on peut utiliser une paille comme pipette). Se tromper d’un gramme ou deux ne nuira pas à l’efficacité.
6/ Fermer le flacon et le secouer.
7/ Attendre trois jours pour que l’eau oxygénée ait tué les éventuelles spores.
On ne crée pas ainsi un gel, mais une solution hydroalcoolique très liquide avec une teneur de 80 % d’éthanol. Si en pharmacie on ne trouve que de l’éthanol à 70 %, il faut en ajouter 84 grammes et se dispenser d’ajouter de l’eau puisque l’alcool est déjà fortement dilué. On obtient alors une solution avec 68 % d’éthanol, qui reste efficace dans la plupart des situations, notamment contre les virus enveloppés comme les coronavirus. Si d’aventure l’eau oxygénée vient à manquer, on peut éventuellement l’oublier, l’alcool de pharmacie tout comme l’eau des robinets étant dépourvue de spores (en cas de doute, dans la brousse par exemple, il faut absolument utiliser l’eau oxygénée).
Et méfiez-vous de ce que vous lisez dans la presse grand public au sujet des solutions et gels. Par exemple dans Femme Actuelle, on peut lire « Les gels hydroalcooliques sont certes pratiques, mais ils ne valent pas un bon vieux lavage des mains. » C’est faux. Trente secondes de friction hydroalcoolique équivalent à deux minutes de lavage des mains au savon. Dans le premier cas, on tue les germes, dans le second, on les décroche.
On peut aussi lire « Selon des chercheurs japonais de la Kyoto Prefectural University of Medicine, il faudrait 4 minutes de contact entre la solution hydroalcoolique et le virus pour réussir à le désactiver. » Cet article scientifique a été réfuté par les équipes de Didier Pittet au HUG de Genève, le protocole expérimental était du grand n’importe quoi. Idem quand il est dit « Les gels hydroalcooliques abîment les mains », certes, mais beaucoup moins que le savon. Et la liste est longue des erreurs ou approximations. Je ne vais pas vous couper-coller mon premier livre sur le sujet (vous pouvez le télécharger gratuitement), ni le second que je suis en train d’écrire, mais il est très fatiguant de voir republier non-stop les mêmes approximations ou contre-vérités.