Comme tout le monde, j’ai commencé le vélo avec les pédales plates, mais, dès que j’ai roulé en club quand j’avais onze ans, je suis passé sur les cale-pieds, les ancêtres de nos pédales auto. Puis, fin août 2019, je me suis fracturé le col du fémur et j’ai remis en question le dogme de la pédale auto, tout d’abord sous prétexte de ma rééducation.
Gamin, je roulais en auto parce que tous les cyclistes sérieux autour de moi roulaient avec ces pédales, et même les pros. Ça devait être judicieux. Quand je me suis mis au VTT XC, tout le monde avait des auto et j’ai fait comme tout le monde, puis j’ai découvert qu’en bikepacking certains spécialistes roulaient en plates : davantage de confort, possibilité de marcher longtemps, d’être à l’aise au camp comme à vélo, pas besoin d’avoir deux paires de chaussures, possibilité de se promener en ville pendant que le vélo a été sécurisé quelque part, possibilité de prendre le train ou l’avion pour rentrer de voyage, si la chaussure casse on peut la remplacer par n’importe quelle paire de baskets, si la pédale elle-même casse n’importe quelle pédale peut convenir… Ces points sont en accord avec ma philosophie d’un bikepacking ultralight de jouisseur.
Quand j’ai discuté avec mes copains, ils m’ont tous dit qu’on avait moins de rendement avec les plates, qu’on ne pouvait pas tirer dessus, mais seulement appuyer. J’ai jamais eu l’impression de tirer sur mes pédales, sauf dans les sprints. J’ai donc creusé la question, tombant assez vite sur une expérience de 2014 menée par la chaîne CGN.
Simon pédale sur un simulateur avec une pente de 6 %, tantôt en auto, tantôt en plates. Ses performances sont exactement identiques, alors qu’intuitivement il pense aller plus vite en auto, parce qu’il roule toujours avec. J’en déduis que sur les longs bouts de droit, quand on pédale à son rythme, au train, on n’a pas grand-chose à gagner avec les auto. Dans ce cas, il semble donc qu’on ne tire pas sur les pédales.
En 2017, GCN a répété l’expérience en terrain réel avec Dan et Matt, deux ex-pros sur route adeptes des auto. Au sprint avec les auto, Dan gagne 30 % et Matt 15 %. En revanche, en montée ou descente, ils ne constatent aucune différence. Pour moi qui à 56 ans ne sprinte quasiment jamais, sauf parfois pour m’arracher en haut des côtes ou dans les passages techniques, voilà qui me fait réfléchir. Dan et Matt reconnaissent qu’ils préfèrent les auto en descente et montée, parce qu’ils les portent depuis toujours. Une question d’habitude, de sensations.
Je tombe alors sur une troisième expérience menée par enDHurobike. Cette fois plus question de vélo de route mais d’enduro, une discipline où beaucoup d’adeptes utilisent des plates, sachant que Sam Hill le champion du monde 2017 roule en plates, des Nukeproof Horizon.
Sur une courte montée intense, donc au sprint, Arthur, un compétiteur enduro adepte des auto, réalise un temps de 2:59 en auto et de 3:10 en plates (un écart de 6 %). Hugo, adepte des plates, passe de 3:19 à 3:31 (un écart de 4 %). En mode course, l’écart est énorme, mais pour un cycliste comme moi, qui ne sprinte jamais, ces différences doivent être relativisées, d’autant que les résultats deviennent plus intéressants sur la totalité de la spéciale, avec la montée et la descente. Hugo ne gagne qu’une seconde en auto. Arthur lui gagne dix secondes (gain de 4 %).
Ces chiffres, combinés à beaucoup d’autres qui me sont passés sous les yeux, démontrent que les pédales auto ont du sens pour les cyclistes puissants, et qu’elles ont de beaux jours devant elles en compétition route ou XC, voire enduro. Mais pour moi ? J’aime rouler au train dans le but d’explorer. Sur la durée, le plus grand confort doit compenser les rares moments où je perdrais un poil de puissance. J’imagine que c’est le cas pour la majorité des amateurs.
Alors quand, après deux mois d’arrêt suite à ma fracture, on m’autorise à reprendre le vélo, je monte des plates sur mon gravel et pédale avec des runnings, leurs semelles souples se plantant dans les crampons. J’éprouve un sentiment d’euphorie, peut-être parce que je n’ai pas roulé depuis longtemps, peut-être aussi parce que je retrouve des sensations de l’enfance, une forme de liberté, de minimalisme, de légèreté psychologique. Mon gravel est plus cool avec des plates. Il devient un autre vélo.
Depuis ma reprise, je n’ai pas cessé de rouler à VTT et gravel, toujours avec des plates. Je me sens toujours aussi bien (j’ai craqué pour des chaussures Five Ten Freerider Pro, qui me donnent l’impression d’être accroché aux pédales par des velcros, et protègent le bout des pieds). Avant de jurer par les auto, il faut avoir testé le combo plates/chaussures ad hoc. Ça me fait un peu le même effet que passer des chaussures de ski à celles de snow. Je redécouvre le vélo.
Mes copains m’ont dit que je me ferai peur en descente et je constate le contraire. J’ajuste ma position par instinct pour maximiser la surface de contact avec la pédale. Et si ça secoue trop, je ralentis, là où en auto j’avais tendance à me laisser emporter vaille qui vaille. Désormais, je me sens plus en sécurité en plates. Et si les pros de la descente n’éprouvaient pas la même sensation, ils rouleraient avec des auto, ce qui n’est bien sûr pas le cas. Il suffit de regarder les pieds de Fabio Wibmer dans ses rides pour comprendre l’intérêt des plates.
Désavantages des plates à l’usage
- Je dois souvent réajuster mes pieds pour les mettre en bonne position et maximiser la poussée. Sans doute par manque d’habitude.
- En montée, sur les passages techniques qui nécessitent de la puissance à l’arrache, il arrive que mon pied le plus haut dérape vers l’avant, ce qui me force à mettre pied à terre. Peut-être que je paye le fameux déficit de 30 à 15 %. Dans les mêmes passages, je passais sans problème en auto avant mon accident. Quand les spécialistes des plates poussent avec un pied, ils font pivoter l’autre pour tirer la pédale opposée (technique de la griffe que je ne maîtrise pas encore). J’ai du boulot.
- En cas de retour de pédale, les crampons des plates peuvent me déchirer un tibia. Mais j’ai déjà pris des coups avec des auto parce que je suis loin de les serrer à fond à VTT.
- Les plates sont plus larges, donc touchent plus facilement dans les passages étroits, aussi dans les virages avec le gravel dont le pédalier est assez bas.
- Je ne sais plus faire de bunny, ce qui peut poser un problème au moment de franchir un obstacle.
- Dans les secteurs chaotiques, je passe plus lentement, la relance est plus difficile.
Avantages des plates à l’usage
- Je peux enfourcher mon vélo pour un oui on non, ne serait-ce que pour aller acheter le pain.
- Quand je m’habille, c’est plus simple. Je n’ai pas besoin d’attendre de monter sur le vélo pour mettre mes chaussures. Je peux me promener partout chez moi avec mes Five Ten.
- Les plates maximisent mon agilité quand je ne suis pas sur le vélo, surtout si j’utilise des runnings (les Five Ten sont renforcées, donc plus lourdes).
- Ma position sur le vélo est beaucoup moins statique. Je ne suis pas enfermé dans une ligne rigide comme avec les auto, en théorie une ligne optimale, mais l’optimal varie lors des longues sorties, surtout quand on les enchaîne en bikepacking. Les plates autorisent les ajustements dynamiques.
- En descente, je peux tendre une jambe dans un virage. Je suis moins prisonnier du vélo.
- Moins mécaniques, moins automatiques, les plates me forcent à penser ma position. Voilà pourquoi on les conseille aux enfants. Les auto poussent à prendre de mauvaises habitudes, ou plutôt à ne pas en prendre. On fait corps avec le vélo, mais on le subit autant qu’on le dirige.
- En gravel, c’est encore mieux qu’à VTT, parce que je me retrouve rarement dans des passages techniques qui nécessitent de l’arrache.
- De l’avis des médecins, il y a moins de risques de traumatismes avec les plates, parce que le désengagement en cas de chute est plus rapide (une fraction de seconde gagnée pouvant faire une grande différence), parce qu’elles laissent au corps la possibilité d’ajuster la position en continu (j’ai lu un article qui expliquait qu’avec des plates on avait moins de problèmes cervicaux — j’ai bien sûr perdu la source).
- Le combo plate/basket est moins épais que clip/chaussures auto, donc le centre de gravité est un poil plus bas. Quelques millimètres gagnés peuvent accroître la confiance.
- J’ai déjà listé les innombrables avantages pour le bikepacking, avantages d’autant plus évidents quand le rendement n’est pas vital. Marcher pour franchir une difficulté, ça fait même plutôt du bien quand on passe plus de dix heures par jour sur sa bécane.
Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. Peut-être que je reviendrai aux auto, mais dès que je pense bikepacking je me dis que ce serait une mauvaise idée. L’idéal est peut-être de passer des unes aux autres en fonction des situations. Auto, pour courtes distances sportives (ce qui ne m’arrive presque plus). Plates pour les explorations et le bikepacking.