À mon retour de Floride, j’ai découvert qu’un club gravel avait été créé à Montpellier, Gravel Bike Montpellier, et que Jaywai Jaywai avait lancé l’initiative Open Gravel Montpellier dont le but est de proposer des traces gravel dans ma région. Ainsi, par une belle matinée de juillet, je me suis lancé en solo dans le Gravel Time Trial Show (GTTS), une boucle de 77 km avec 700 mètres de dénivelé positif.
Quand on me dit gravel, je choisis le vélo ad hoc, avec d’autant plus d’enthousiasme que je roule beaucoup à VTT et que mon gravel se languit au garage. En été, et lors des journées torrides, ma principale crainte est de manquer d’eau, mais Jaywai Jaywai a indiqué quatre points d’eau sur sa boucle, donc je m’élance sans plus me poser de question.
De chez moi, je prends la piste cyclable de la route de Sète, puis vire le long du canal du Rhône à Sète, collant à la voie fluviale par un petit sentier. Aucun doute, malgré la brise contraire, je file plus vite qu’à VTT, et sans le moindre effort. Le sol est parfaitement damé, un régal en gravel. Deux semaines plus tôt, j’y suis passé après une petite averse, ce n’était pas la même histoire. Mes pneus WTB Resolute de 42 mm arrivaient tout juste à évacuer la boue, pendant que mon copain de sortie devait sans cesse s’arrêter pour nettoyer les siens (voilà pourquoi les gravel doivent avoir de l’espace en réserve pour de gros pneus, et donc aussi pour la boue — selon moi, plus on peut chausser gros, mieux c’est, ce qui ajoute de la polyvalence à la bécane).
Très vite j’arrive à Frontignan, la ville du muscat. Pour rejoindre la trace de la GTTS, j’ai le choix entre foncer droit à travers les anciens marais salants, une pure merveille, rester au bord du canal sur l’ancienne voie de halage, partie terminale de la ViaRhôna, ou suivre la piste cyclable des plages, ce que je fais pour profiter d’un bout de bitume.
Je roule tranquillement quand un gars et une jeune femme me doublent à vélo de course. Je me mets dans leurs roues et me laisse aspirer, rejoignant le pont des Aresquiers où j’attrape la trace de la GTTS. J’ai alors parcouru 16,2 km en 42 minutes, à 23 km/h de moyenne. Je ne regrette pas d’être en gravel, d’autant que devant moi ils accélèrent. Je les suis sans difficulté jusqu’au village de Vic où j’entre pendant qu’ils continuent sur la route. La trace m’amène jusqu’au cimetière où mon père est enterré. Je ne m’arrête pas, je n’ai pas besoin de prendre de l’eau. Je continue sur le bitume, coupe la route de Sète à Montpellier par un rond-point, puis attaque la montée des Quatre chemins.
Je n’aime pas cette route, d’autant que depuis Vic il existe au moins deux manières plus champêtres de rejoindre les collines de la Gardiole, mon terrain de jeu VTT depuis que je suis gamin (on y venait à mini-vélo ou demi-course). Je sais que le gravel c’est chemin et route, mais définitivement je n’aime pas l’asphalte, ou plutôt les voitures qui me frôlent. J’accepte cet aléa pour les transitions, mais seulement quand il n’y a pas d’autres possibilités.
Heureusement, avant d’atteindre le col de la Tortue, la trace bifurque sur un single qui bientôt rejoint une piste DFCI (voie de défense des forêts contre l’incendie). Elle m’amène de l’autre côté du massif, rejoint l’autoroute A9, puis me jette sur un single pierreux en dévers que même à VTT j’aborde avec prudence, c’est dire qu’en gravel ce n’est pas le pied. Ça passe, mais de toute évidence mes pneus ne sont pas adaptés et mon cintre course encore moins, d’autant quand derrière il faut aborder une remontée avec des marches, qui me forcent à mettre pied à terre (il existe un autre passage tout à côté bien plus praticable — au retour je découvrirai que la trace de la GTTS a été actualisée pour corriger ce défaut).
Une fois passé sous l’autoroute, je dévale par une petite desserte communale vers le village de Gigean. Plus je descends, moins j’aime ce qui m’attend. Ça n’y manque pas, je dois suivre la nationale 113 pendant un bon kilomètre avant d’emprunter une nouvelle desserte communale. J’atteins bientôt le lieu dit du Mas de Bonnel que je sais rejoindre depuis les collines par un itinéraire plus plaisant.
La trace m’envoie alors dans une vigne, puis je dois me frayer un passage à pied jusqu’à rejoindre un nouveau chemin et enfin atteindre le village de Cournonterral, avec un arrêt obligatoire au cimetière pour faire le plein d’eau (encore une fois la trace la plus récente corrige cette erreur). J’ai parcouru un peu plus de 22 km sur les 77 de la GTTS en 1 h 11 (distance totale 38,3 km, temps 1 h 53).
Je devine que mon prochain objectif est la piste DFCI de la Taillade, la principale côte du coin. Je ne me trompe pas. Je roule dans un massif magnifique, tantôt boisé, tantôt pelé, avec de belles falaises de calcaire. La piste grimpe, descend, je suis au paradis du gravel pendant une vingtaine de kilomètres, sans jamais croiser la moindre portion de bitume ni le moindre secteur qui me ferait regretter mon VTT. Je suis presque dépaysé.
Après avoir contourné le village de Murviel-les-Montpellier, je rejoins une ancienne voie ferrée, creusée dans la roche, au sol tapissé des fameux cailloux estampillés SNCF. Là, ça tabasse, je prends cher dans les mains et les épaules. J’ai beau n’avoir gonflé mes pneus qu’à 2 bars, c’est encore trop. Je passe, mais sans plaisir.
En même temps, je sais qu’il n’existe pas de vélo miracle. Avec mon tout suspendu, ou même mon semi-rigide de bikepacking, j’aurais été sur du velours, mais j’aurais roulé moins vite avant d’atteindre cette portion. La vitesse n’a pas beaucoup d’importance pour moi, surtout en randonnée, mais qui dit vitesse, dit une forme d’allégresse, par moment, dans certains passages, elle implique aussi de pouvoir aller plus loin en un temps donné, voilà pourquoi j’aime le gravel.
L’ancienne voie ferrée m’expédie sur les hauteurs de Montpellier, où je plonge, enchaînant une série de parcs dont je découvre l’existence avec stupéfaction. Quartiers modernes, poussés depuis que j’étais étudiant, avec parfois encore des recoins champêtres. Me voilà dans la ville, où le gravel avec sa force d’accélération fait merveille. Oui, un gravel est un extraordinaire vélo de ville. Capable de sauter les trottoirs, de couper les pelouses, de se jouer de tous les obstacles tout en gardant de la vélocité. C’est le pied.
Quand je rejoins la place de la Comédie, mon GPS bippe. J’ai atteint la fin et l’origine de la trace. Depuis le pont des Aresquiers, j’ai parcouru 54,3 km en 3 h 6 (total 70,5 km pour 3 h 48). Je relance le GPS et repars vers le sud, direction la mer en suivant la digue en bordure du Lez. Je suis à nouveau en terrain familier. Peu avant Palavas, je rejoins le canal du Rhône à Sète, que je remonte presque en pilote automatique vers mon point de départ, mon gravel étant à la fête sur cette surface. Je boucle les 77,9 km de la GTTS en 4 h 10 (je me suis arrêté pour manger et pour regarder les paysages guère plus d’une vingtaine de minutes). Quand je rentre chez moi, j’ai parcouru 107 km en 5 h 24 pour un temps de déplacement de 5 h 8.
Je suis si heureux que j’annonce à mes copains vététistes que nous devons effectuer cette boucle et qu’ils doivent tous s’acheter des gravels pour venir s’éclater avec moi sur d’encore plus longues distances. Reste que tout n’est pas rose. Les secousses m’ont bien entamé les épaules, vingt-quatre heures après j’ai des fourmis persistantes dans la main gauche, ce qui ne m’arrive jamais à VTT, quelle que soit la distance (mon record VTT en une journée étant de 170 km).
Le gravel va plus vite, mais il est plus exigeant pour le corps que le VTT dès qu’il quitte les surfaces accommodantes, lui-même plus exigeant que le vélo de route. Je ne suis pas prêt de faire du bikepacking en gravel. J’ai besoin d’une fourche avant et de pneus respectables pour affronter les secteurs chaotiques, et tant pis si c’est au prix de plus de lenteur et de poids. Mon confort passe avant tout.
Je commence à savoir choisir entre mon VTT et mon gravel. Pour les explorations, c’est le VTT. Avec lui, je peux oser, je peux m’aventurer. Je ne risque que de ne pas aller vite. Pour moi, le gravel n’est pas un vélo d’aventure. C’est un vélo pour les itinéraires pensés pour lui, un peu comme le vélo de route d’ailleurs, à cela prêt que son terrain de jeu est plus vaste. Sur les itinéraires « homologués » pour lui, le gravel procure un immense plaisir, mais il suffit de quelques sections difficiles pour tout gâcher. C’est donc un plaisir fragile que celui du gravel, qui exige davantage d’anticipation, en tout cas dans des régions comme la mienne.
Par chance, nous avons des GPS, des cartes extraordinaires, des vues satellites, nous pouvons partager nos traces, nos expériences. Je peux souffler quelques idées à Jaywai Jaywai, il peut améliorer la GTTS pour en faire un pur régal d’un bout à l’autre. Et ce n’est pas un hasard si le gravel se développe en même temps que nos outils technologiques. Plus nos traces se précisent, plus le gravel s’impose comme une évidence (là où le vélo de course s’imposait quand notre technologie de routage se limitait à des cartes papier).
Maintenant, quand je roule à VTT, je ne cesse de me dire « Là, c’est gravel, là, non. » Je dois repenser ma mémoire topographique. Là où on peut foncer presque aveuglément à VTT, il faut plus de doigté en gravel, et souvent des détours s’imposent, d’autant plus quand on veut offrir à ses compagnons de route une expérience fluide, car il me semble que le gravel doit conserver en partie la fluidité propre au vélo de route pour mieux se différencier du VTT plus rentre dedans (dès que la fluidité faiblit, je souffre).
Tout cela mis bout à bout, nous vivons une époque formidable pour le vélo, dont les développements répondent à ceux des autres technologies, en même temps qu’aux multiples contraintes civilisationnelles.