À vélo, je n’aime pas les voitures, moins j’en croise, plus je suis heureux. Cette aversion m’a depuis longtemps porté vers le VTT. Mais quand j’ai aménagé pour un an dans le sud de la Floride, j’ai vite compris que côté VTT ce serait l’ennui total, j’ai donc acheté un gravel pour explorer les digues qui délimitent les Everglades, tout en comptant emprunter les nombreuses pistes cyclables.
Il y a un an, je connaissais bien moins le marché qu’aujourd’hui, surtout je n’avais jamais roulé en gravel. J’ai donc consulté des comparatifs et regardé des vidéos pour finir par acheter un Specialized Diverge Expert, un gravel tout carbone doté d’un amortisseur dans la potence et d’un autre dans le tube de selle.
Quand j’ai quitté la boutique avec mon Diverge, roulant sur l’asphalte manucuré de la banlieue chic de Miami, j’ai immédiatement retrouvé mes vielles sensations de routier (j’ai fait beaucoup de vélo de route quand j’étais gamin). Légèreté, accélération, vitesse. Le lendemain, je suis parti sur les digues qu’on appelle les levees. J’ai filé sur ces pistes presque aussi vite que sur l’asphalte. Au retour, après une soixantaine de kilomètres, j’ai commencé à souffrir de l’épaule gauche. Quand ma roue avant rencontrait une pierre d’une taille plus grosse que celle d’un gravier, souvent des caillasses plates affleurant à la surface du chemin, le Diverge ne bronchait pas mais me transmettait une petite secousse qui terminait dans mon épaule.
Je me suis dit que c’était le manque d’habitude. Deux jours plus tard, en fin d’après-midi, j’ai rejoint le groupe des Levee Riders. Sur la vingtaine de cyclistes ce soir-là, nous n’étions pas plus de cinq en gravel. À ma grande surprise, les autres roulaient avec des VTT 29 pouces cross-country semi-rigides équipés de fourche avec un débattement de 80 ou 100 mm et de pneus quasi lisses de 2 pouces environ.
La partie de manivelle a commencé. Ce n’était pas la balade, on est parti sur un train d’enfer et ça n’a pas cessé d’accélérer. À ce jeu, un graveleux était super costaud, un ancien pro, mais trois VTT ne l’on jamais quitté, dont deux équipé d’aero bar. Je n’étais pas assez distancé pour manquer la bataille, d’autant plus que nous nous sommes regroupés avant de faire demi-tour et de remettre le couvert.
Ce jour-là, j’ai compris que sur des pistes les VTT ultralégers rivalisaient avec les gravel. J’avoue que j’ai été surpris, un peu frustré. Je me suis dit qu’avec une fourche avant mon épaule gauche n’aurait pas souffert (je n’ai jamais eu mal à l’épaule en VTT). C’était comme ça, j’ai commencé à m’habituer à cette douleur. Sur l’asphalte, mon gravel avalait les kilomètres sans me tirailler, sur les pistes relativement lisses, il filait comme le vent, en revanche il me maltraitait dès que les chemins devenaient plus chaotiques. C’était assez rageant, parce que le vélo, lui, passait partout, même sur les singles en sous-bois, c’était moi qui ne tenais pas le choc. J’étais obligé de ralentir pour ne pas souffrir. Je découvrais que, si un gravel est plus confortable qu’un vélo de route, il l’est moins qu’un VTT, sans être réellement plus performant que lui sur les pistes. Il ne faut pas se voiler la face.
Je n’ai pourtant jamais regretté mon choix. Le gravel offre une polyvalence incomparable. Avec mon Diverge, j’ai pu faire la route des Keys, descendre jusqu’au bout des États-Unis par la piste cyclable qui longe l’US1, ce que je n’aurais jamais osé envisager en VTT. J’ai exploré Miami et en même temps les Everglades, j’ai fait de la route et des chemins. J’ai exploité à fond le concept de gravel : un vélo pour tout faire ou presque si le pilote assure.
On était en décembre. Suite à plusieurs drames relatés par les médias et mes nouveaux copains cyclistes, j’ai compris que les routes de Floride étaient dangereuses pour les vélos, même les pistes cyclables. J’ai peu à peu renoncé à les emprunter, traînant mon gravel presque exclusivement sur les chemins. Qu’à cela ne tiennent. J’ai changé les pneus d’origine du Diverge, des Specilalized Sawtooth 2Bliss Ready de 38 mm, pour des WTB Resolute de 42 mm. Plus larges et moins lourds, je pouvais les gonfler à seulement 20 PSI et mon mal d’épaule a diminué, ne revenant que dans les sections rugueuses, mais disparaissant dès que je retrouvais des passages plus accommodants. Bien sûr, les performances sur route ont chuté. Plus question pour moi d’accompagner les pelotons de routiers qui sillonnent mon coin de Floride comme je l’avais fait quelques semaines plus tôt. En changeant les pneus, en augmentant leur section, j’avais gravélisé mon gravel.
Je me suis dit « merde, si j’avais su, j’aurais choisi un gravel où on peut monter plus gros ». Sur mon Diverge, la taille maximale constructeur est de 42 mm pour des roues de 700 (je pense qu’on peut aller un peu plus haut avec ces roues, peut-être 45 mm). J’étais en train de prendre conscience que choisir un gravel est loin d’être simple. Si on se partage entre route et chemin peu accidentés, des pneus de 38 ou de 42 sont parfaits. Mais, si on passe presque exclusivement son temps loin de l’asphalte, il faut pouvoir monter plus gros, tout simplement pour que les pneus absorbent les chocs (d’autant plus quand comme moi on se découvre une épaule rétive). Par exemple, sur son Diverge, Sarah Swallow a monté des roues de 650 avec des WTB Sandero de 47 mm. Si je devais acheter un gravel aujourd’hui, je tenterais d’augmenter sa polyvalence. J’essaierais de trouver une bécane capable de rouler avec des 28 mm comme des 2 pouces. Je regarderai du côté de chez 3T.
Je n’en étais qu’au début de mes découvertes. Début janvier, fatigué de rouler sur les levees, droite à perte de vue, j’ai commencé à lorgner du côté du bikepacking et d’une course en particulier, l’HuRaCan qui se déroule en février non loin d’Orlando. L’organisateur m’a tout de suite dit que ça ne passerait pas avec mon Diverge. Il y a avait de nombreuses sections sableuses où il fallait au minimum des pneus de 2 pouces. Ça a été la douche froide, mais j’ai fini par craquer et par m’acheter un VTT semi-rigide, pas un truc ultra léger pour les levees, j’ai anticipé mon retour en France ne voulant pas concurrencer mon XC, j’ai choisi un VTT 29 pouces capable de chausser des gros pneus, jusqu’à 2,8 pouces, voire 3.
J’avais découvert que les bikepackers au long court optent souvent pour ces montures, simples et polyvalentes, capables de passer partout, sans pour autant être des bêtes de course. Quand je me suis retrouvé au départ de l’HuRaCan, la plupart des participants avaient fait le même choix que moi, certains ayant même troqué leur fourche de 130 mm pour une fourche carbone rigide, mais avec des pneus de 2,8 pouces, voire plus gros. Je découvrais les VTT tout rigides, genre le magnifique Surly Ogre, autrement dit des gravels poussés plus près du VTT, certains même avec des guidons de vélo de route comme les Salsa Cuttrhroat ou Salsa Fargo. Si je devais avoir qu’un vélo d’aventure, j’opterais pour un de ces modèles.
Aujourd’hui, je suis heureux avec mon Diverge tant que je choisis mes chemins. Je serai encore plus heureux en France où je sauterai des routes communales aux pistes forestières, mais je ne me sens pas prêt à partir avec lui pour un long raid bikepacking, à moins de faire du bikepacking presque exclusivement sur route. Partir avec le Diverge sur un itinéraire au revêtement aléatoire me ficherait un peu la trouille. Un vélo typé VTT me paraît plus approprié pour ma pratique du bikepacking, car plus confortable même si moins rapide. Qu’on le veuille ou non, un gravel ressemble à un vélo de course, les chocs sont à peine absorbés par les pneus et les amortisseurs de guidon et de tube de selle (un gravel peut donner l’illusion à un routier de faire du VTT, mais il apparaîtra toujours inconfortable à un vététiste).
En France, je pense monter des pneus de 32 sur mon gravel, pour passer plus de temps sur les petites routes tout en m’autorisant les écarts hors piste, sachant que, pour les longues explorations bikepacking, j’aurais à ma disposition d’un côté mon VTT semi-rigide, voire tout rigide si je change de fourche, et d’un autre mon VTT XC en carbone.
La polyvalence du gravel n’en fait donc pas pour autant un vélo universel. Si dans l’idéal un cycliste éclectique devait disposer de cinq ou six vélos (course, gravel, VTT de bikepacking, VTT XC/trail, VTT enduro/descente), dans la pratique, un cycliste raisonnable peut désormais se contenter de deux vélos. D’un côté un VTT XC/trail, d’un autre un gravel. Plus besoin d’un vélo de course, à peine plus rapide sur asphalte, moins confortable, inapte au bikepacking, condamné à se frotter aux voitures. Pour toutes ces raisons, le gravel n’est pas une mode. Il répond à notre besoin d’aventure, à notre besoin d’explorer la nature loin des voitures, sans pour autant sacrifier aux avantages du vélo de route.
Mais alors pourquoi des cyclistes achètent-ils encore des vélos de route ? Peut-être parce qu’ils voient les pros du peloton à la télé et pas encore des courses de gravel. Peut-être parce qu’ils ne sont pas informés. Peut-être parce que changer d’habitude prend du temps. Peut-être parce qu’ils ne voient pas encore assez de gravels leur tirer la bourre, puis soudain bifurquer sur un chemin de terre et leur dire adieu dans un nuage de poussière (alors qu’eux devront se taper un bout de nationale).
Mais attention, un gravel n’est pas la panacée pour qui aime se tenir à distance des routes et effectuer de longues sorties cahoteuses tant bien même elles ne sont pas très techniques. Dans ce cas, un VTT, quitte à ce qu’il soit tout rigide avec de gros pneus, restera plus approprié. Finalement, nous avons toujours besoin de plusieurs vélos.