Didier Tronchet et son Petit traité de vélosophie, Bernard Chambaz et se Petite philosophie du vélo, Guillaume Martin et son Socrate à vélo, moi qui me suis lancé dans un Born to bike, il y a peut-être quelque chose de profond qui se joue autour du vélo, à ce moment précis de notre histoire.
Je voudrais enchaîner quelques propositions pour conduire d’une vision du cyclisme au cyclisme aujourd’hui possible. C’est une ébauche de réflexion.
- Je me dis que notre époque tourne de travers parce que souvent nous avons l’impression de vivre ni des aventures collectives ni individuelles. Nous nous contentons de découvrir celles des autres par écrans interposés. Le besoin d’aventure, le besoin de rêve, doit être satisfait (certains s’amusent à casser des vitrines en se donnant l’impression qu’ils changent le monde).
- Je roule aux US et je sens que les chemins y sont neufs, qu’ils sont arbitraires, souvent tracés au cordeau, ou alors entortillés sur eux-mêmes pour le plaisir du cycliste, mais sans nécessité autre qu’une logique de parc à thème. Au contraire, en Europe, les chemins sont anciens, ils ont des histoires et les suivre revient à revivre ces histoires, ou tout au moins à leur ajouter les nôtres (à moi de trouver aux US des chemins qui ont du sens).
- De ce fait, le cyclisme est littéraire, narratif. Il nous fait vivre des aventures. Emprunter un chemin, c’est lui ajouter un chapitre. Créer un nouveau chemin, c’est commencer une œuvre nouvelle. Pédaler, ce n’est pas tant lire des histoires que les écrire.
- J’aime parcourir de longs trajets à vélo, j’aime explorer à vélo, j’aime découvrir le monde depuis cette perspective, à ce rythme. À vélo je me sens libre, je me sens vivre, justement parce que chaque sortie est une aventure.
- Pendant que nous vivons des aventures, nous nous détournons des médias et des réseaux sociaux, qui au moindre incident émettent de la fumée pour brouiller la réalité. Si nous étions plus nombreux sur les routes, les indices de bonheur seraient au beau fixe, nous cesserions de nous imiter les uns les autres, nous développerions nos singularités. Plus divers, nous serions collectivement plus intelligents (comme une boîte à outils qui dispose de plus d’outils). Plus intelligents, nous serions plus entreprenants. Plutôt que subir les catastrophes, nous ferions tout pour les éviter.
- Je conçois le vélo comme une aventure esthétique, sociale, philosophique, sportive et technique. Toutes ces dimensions doivent s’entremêler. Trop de cyclistes négligent la vastitude des possibilités qui leur sont offertes, nombreux se limitent à faire du sport.
- Quand je pense aventure à vélo, les voitures ne sont pas mes amies. Moins j’en croise, plus je suis heureux. Parce qu’elles font du bruit, parce qu’elles empoisonnent l’air, parce qu’elles sont dangereuses, parce qu’elles roulent à un rythme trop différent du mien, parce que les conducteurs ne me respectent pas, se sentant dans leur habitacle comme des chevaliers en armure.
- Je fais du vélo pour être serein, mais sur la route je suis stressé (si je ne l’étais pas, je serais inconscient).
- Pourtant j’aime le vélo de route, j’aime la sensation de glisse sur l’asphalte, mais il m’amène trop souvent au contact des voitures. Il me faut trouver des routes reculées, des routes perdues.
- Pour les atteindre, je prends donc les chemins de traverse, ce qui implique souvent d’emprunter des pistes, voire des sentiers plus ou moins techniques (j’aurais dû faire coureur professionnel, mais même eux s’entraînent au milieu des voitures).
- Je n’aime pas les parcs VTT avec des bosses et des plongeons artificiellement créés. Les traces y manquent toujours de naturel, elles n’ondulent pas comme les chemins ouverts par les animaux, puis marqués par les humains depuis des siècles, ces chemins que mes rouent suivent d’elles-mêmes, parce qu’ils ont une logique dictée par la nécessité d’aller d’un point à un autre (dans les parcs, les sentiers n’ont pas d’histoire). En fait, comme à ski, je préfère le hors-piste, et je préfère monter à la force de mes jambes plutôt qu’avec des remontées mécaniques.
- Je fais du vélo pour me déplacer avec art, non pas pour tourner en rond (dans ce cas, la seule aventure possible est la course, une aventure trop binaire à mon goût, trop guerrière, nocive d’un point de vue collectif, même si le spectacle peut avoir un effet fédérateur, même si j’aime regarder les pros s’expliquer).
- Parce que j’aime parcourir de longues distances, j’aime les vélos légers, sachant que je vais devoir potentiellement les charger de mon matos de bikepacking. Un vélo lourd réduit la sensation de liberté que me procure le vélo. C’est vrai sur tous les terrains. Le vélo est technologique. Le cycliste est un geek.
- Je vois des cyclistes qui partent en aventure avec des vélos surchargés et pesant des tonnes, cela parce que la vitesse ne compte pas. OK, mais plus on est lourd, plus on se ferme des possibilités, en termes d’autonomie comme de terrain de jeu possible. La lourdeur est incompatible avec le vélo (avec l’écologie aussi, avec la littérature et l’art, avec notre époque par bien des côtés trop lourde).
- Une fois ces préalables posés, je peux choisir mes vélos. J’écarte ceux trop spécialisés. Le vélo de route qui ne me permet que de côtoyer les voitures. Le VTT de descente qui n’est utilisable que dans quelques régions. Mon spectre se resserre peu à peu (seulement parce que mes moyens ne sont pas illimités).
- Mes vélos doivent pouvoir m’amener loin, donc être compatibles avec le bikepacking. C’est aujourd’hui le cas de la plupart des vélos, sauf peut-être les VTT d’enduro ou trail, trop lourds, ne disposant d’aucun espace dans le cadre pour y loger un sac.
- J’ai deux vastes familles de vélo à ma disposition. Les gravel aiment la route et les chemins pas trop accidentés. Les VTT 29 pouces, tout suspendus ou non, s’en tirent pas si mal sur les chemins roulant et excellent partout ailleurs (les VTT 27,5 pouces sont de moins bons rouleurs, donc je les écarte).
- Si je ne devais avoir qu’un vélo, il se situerait à l’intersection de ces ceux familles, ce serait un Drop-Bar Mountain Bike 29 pouces, dont deux des plus fameux sont les Salsa Cutthroat (pneus jusqu’à 2,4 pouces) et Fargo (pneus jusqu’à 3 pouces).
- Ces derniers temps, j’avais deux vélos. Mon gravel Specialized Diverge est le vélo le moins tout terrain que j’envisage. Il pèse à peine plus qu’un vélo de route, peut être équipé de pneus de route, mais aussi de WTB Resolute 42 mm pour s’attaquer à tous les chemins tant qu’ils ne sont pas trop cabossés (mes épaules limitent la densité de chaos que je peux accepter plus que le vélo lui-même). C’est un vélo parfait pour le bikepacking peu accidenté. À l’autre extrémité du spectre, je possède un Specialized Epic tout suspendu, qui pèse moins de 11 kg, que je peux équiper de pneus 2,4 pouces, avec lequel je peux passer partout ou presque (OK, pas dans les descentes techniques, mais j’ai passé l’âge des cabrioles).
- Depuis peu, j’ai un troisième vélo, un Salsa Timberjack, un VTT hardtail 29 pouces. Il est parfait pour le bikepacking, confortable lors des très longues sorties. Ses pneus 2,6 pouces, des Maxxis Rekon, possèdent un bon grip et absorbent les chocs. Je le trouve juste lourd avec ses 13 kg. Avec des roues en carbone, une fourche et une cassette plus légères, je pourrai sans doute le ramener vers les 11 kg.
- Dans l’idéal, en l’état de ma réflexion, il me faut trois vélos. Un gravel type Diverge, un hardtail type Timberjack acceptant les pneus 2,6 pouces à moins de 11 kg et un VTT tout suspendu de type trail plutôt que cross-country. Voilà où mes considérations philosophiques me mènent. Heureusement pour les fabriquants, la plupart des cyclistes ne raisonnent pas comme moi et se laissent tenter par d’autres produits.
- Bien sûr, nos vélos reflètent les terrains à notre disposition. Si je vivais en montagne, j’aurais peut-être un fat tire pour l’hiver, un VTT de descente pour l’été. Reste que le désir de fuir les voitures et de vivre des aventures impose des contraintes fortes.
- Comme beaucoup de gens acceptent le bruit, beaucoup de cyclistes acceptent de côtoyer les voitures. Certains n’ont pas trop de choix, mais la plupart des autres agissent par habitude, sans interroger les possibilités des vélos aujourd’hui disponibles. Le cycliste n’est pas nécessairement curieux, pas plus qu’il n’est aventurier. J’écris donc pour tenter d’éveiller cet esprit d’aventure. Mes amis et mes lecteurs seront mes cobayes.
- J’ai toujours suivi les grands Tours et les classiques. J’aime leur story telling, mais je prends peu à peu conscience que je préfère découvrir les aventures des cyclistes plus ordinaires quand ils explorent le monde. Là, je lis des histoires d’aujourd’hui, des histoires non pas modélisées sur l’art de la guerre, mais sur l’art de vivre en paix avec soi, les autres et le monde.
- Ces histoires me donnent envie de vivre mes propres histoires, et de les écrire pour les partager à mon tour, selon un processus initiatique collectif.