Jeudi 3, Balaruc
N m’annonce que la messagerie Telegram a été bloquée en Iran, mais que c’est sans importance puisque tout le monde utilise des proxys. À quoi ça rime, alors ? Les mollahs doivent être bien désespérés pour prendre une telle mesure, mais les gens désespérés peuvent commettre des horreurs. Isa me dit que je ne comprends rien à la politique. « Au contraire, les mollahs se donnent ainsi une raison de plus d’emprisonner les gens qui ne respectent pas leurs dictats. C’est tout. »
Samedi 5, Balaruc
Il pleut ce matin, pas de sortie VTT, et voilà que je plonge dans le code. Tout ça sous prétexte d’envoyer à un ami un lien vers mon photoblog d’où les images un peu anciennes ont disparu, la faute à Instagram qui change sans cesse ses URL… et ça m’énerve, parce que d’une certaine façon je ne suis pas propriétaire de ces images, simplement parce qu’elles ne sont pas sauvegardées chez moi. Alors je récupère un plug-in pour synchroniser mon blog et Instagram, un plug-in défectueux, que je dois bidouiller pendant plusieurs heures avant que la moulinette fonctionne.
Je reçois des mails excédés, j’ai spammé plusieurs de mes lecteurs fidèles. Comment ça se fait ? Je finis par comprendre : à chacune de mes photos ajoutées en tant que nouveau billet, un message a été envoyé, 1 200 messages. J’ai touché du doigt la complexité de notre monde avec ses interconnexions invisibles, ou oubliées, qui mettent en œuvre des causalités inattendues.
Lundi 7, Balaruc
Pas d’horizon aujourd’hui, les deux langues de terre qui avancent dans l’étang dessinent une porte sur la brume, avec au milieu la silhouette jaune du sémaphore.
Jeudi 10, Balaruc
Les études se multiplient pour montrer les bienfaits du Yoga, de la méditation, des retraites dans les ashrams. Est-ce surprenant ? Couper du flot du temps réel, se reposer, se détendre, communier avec la nature ne peut faire que du bien. Je suis certain que les scientifiques aboutiraient aux mêmes constats s’ils s’intéressaient aux cerveaux des lecteurs.
Vendredi 11, Balaruc
J’ai enfin replongé dans mon petit roman d’amour, qui évolue de manière surprenante. En parallèle, je lis un très bon essai sur l’écriture Wired for story qui, bien que proposant parfois une vision réductrice de la littérature (toute histoire devrait avoir un protagoniste), reste lumineux, notamment quand il s’agit de confronter l’art du roman à la neurologie.
So what is a story? A story is how what happens affects someone who is trying to achieve what turns out to be a difficult goal, and how he or she changes as a result. Breaking it down in the soothingly familiar parlance of the writing world, this translates to “What happens” is the plot. “Someone” is the protagonist. The “goal” is what’s known as the story question. And “how he or she changes” is what the story itself is actually about.
Avec mon histoire d’amour, je n’ai jamais autant collé à cette logique. Mon intrigue : un écrivain cherche à tromper sa femme pour retrouver l’inspiration. Mon protagoniste : l’écrivain. Son but : écrire un livre. Le véritable sujet de l’histoire : éloge du couple et de la fidélité, une lettre d’amour. Je suis en train d’écrire un roman d’amour initiatique, dont le sujet est les changements que l’histoire induit dans le personnage principal.
À la fin des chapitres de Wired for story, Lisa Cron propose une check-list. Idéalement, dès la première phrase, le premier paragraphe, la première page d’une bonne histoire, le lecteur devrait pouvoir répondre à quelques questions.
- C’est l’histoire de qui ? (Mon écrivain.)
- Est-ce que quelque chose se passe dès la première page ? (Mon écrivain décide de tromper sa femme.)
- Est-ce qu’il y a un conflit dans ce qui arrive ? (Oui, parce l’écrivain aime sa femme.)
- Est-ce que quelque chose est en jeu dès la première page ? (Oui, l’avenir du couple, l’avenir de la carrière de l’écrivain.)
- Devine-t-on que quelque chose n’est pas dit ? (Utile si le protagoniste n’est pas introduit immédiatement, mais bon, c’est évident qu’il y a dans mon projet une interrogation sur la fidélité.)
- En savons-nous assez pour avoir une vue d’ensemble des éléments autour duquel le récit s’organisera ? (Écriture, adultère, couple, crise de la cinquantaine… oui, il me semble.)
Samedi 12, Balaruc
Réveil. J’attrape NewScientist, je lis un article expliquant que, plus on est éduqué, plus on vit vieux, puis mes yeux tombent sur l’article voisin, Trees have a hidden regular heartbeat et le souvenir d’un rêve de la nuit revient. J’étais nouvellement responsable d’une propriété, avec des forêts, des champs, un chemin bordés de grands peupliers neige, les mêmes que nous avons à la maison, mais immenses, vieux, et je surprends les paysans en train de les abattre, parce qu’ils font de l’ombre aux cultures, et je me vois en train de les interrompre, en leur expliquant qu’on ne peut pas tuer de tels arbres parce qu’ils sont vivants, sacrés.
Le plus souvent, j’oublie mes rêves, même si je rêve beaucoup, parfois des histoires entières (il semblerait que plus on rêve, plus on est créatif, et qu’un créatif doit donc protéger son sommeil pour qu’il soit riche en rêves). J’ai peut-être rêvé d’arbres parce le soir je m’endors en lisant The Lost City of the Monkey God, un magnifique récit d’exploration de la jungle hondurienne.
Je parle de livres, de NewsScientist, de vieux supports, et très peu de mes lectures numériques, parce que je lis de moins en moins les auteurs du Web, même si je continue de crier que là se joue la littérature contemporaine, je le fais par posture, par corporatisme, car, dans les faits, la plupart de ces auteurs m’ennuient, parce qu’ils ne maîtrisent aucun des codes de la narration.
J’aime le journal en différé de Guillaume Vissac (pour contredire le point précédent). Dans son entrée 120418, il évoque la difficulté de trouver les mots. J’ignore tout de cette sensation. Quand j’ai quelque chose en tête, je réussis toujours à l’exprimer, et même souvent je réussis à exprimer des choses dont je n’ai pas conscience, qui se matérialisent au moment même de l’écriture, par-devers moi.
Mercredi 16, Balaruc
Avec la mort de Tom Wolfe, tout le monde confond celui qui qualifie un genre déjà établi de New Journalism, et celui qui crée le genre, en écrivant la première œuvre pouvant lui être rattachée. Si Tom Wolfe publie Acid Test en 1968, c’est en 1965 que Truman Capote publie De sang-froid, en 1960 que Joseph Kessel publie Les mains du miracle, en 1929 qu’Albert Londres publie Terre d’ébène…
Vendredi 18, Maillardou
Samedi 19, Maillardou
Dimanche 20, Maillardou
Lundi 21, Maillardou
Mardi 22, Balaruc
Après quatre jours de VTT dans le Lot-et-Garonne, 200 kilomètres de chemins plus ou moins boueux, 3 500 mètres de dénivelé positif, j’ai la tête dans mes cuisses douloureuses, c’était génial et, en même temps, je sais que replonger dans mon roman sera plus difficile qu’attaquer les montées à forts pourcentages.
Le roman sur mon père sortira finalement pour la rentrée littéraire 2019, La Manufacture voulant en faire son poulain pour l’occasion. Deux ans d’écart entre la fin de la rédaction et la publication, deux ans d’une maturation qui me fait replonger tous des trois mois dans le texte.
Mercredi 23, Balaruc
Je déteste de plus en plus les réseaux sociaux, mais je n’y renonce pas totalement parce qu’il s’y passe parfois des choses émouvantes. Je vais deux fois par an sur Linkedin, pour y faire le ménage et, hier, je vois qu’un vieil ami m’a invité, un vieil ami qui a été très proche, un temps fusionnel et avec qui j’ai rompu, sur un malentendu, en éprouvant depuis du chagrin. Nous ne pouvons pas réparer le passé grâce à Linkedin, mais peut-être commencer une nouvelle histoire.
Vendredi 25, Montpellier
Un acteur interprète ma géolecture en traînant derrière lui une trentaine de personnes. C’est drôle, je m’amuse. La vérité : cette affaire de géolecture n’intéresse pas grand monde. Je ne regarde pas les stats de téléchargement de l’application, mais ça ne doit pas peser lourd. Pourtant, j’ai senti que je touchais à quelque chose, tant que j’ai senti, c’est ça qui compte après tout.
Lundi 28, Malte
Un ami a mal à la tête, il est désorienté, il va aux urgences, on le renvoie chez lui, ce serait le stress, mais le mal empire, on finit par lui faire passer un scanner et on découvre une orange au cœur de son cerveau, une tumeur gigantesque, inopérable. Je suis en train de lire Proust et je me dis que de son temps mon ami serait allé de mal en pire sans savoir que son destin était scellé, je ne sais pas ce qui est mieux, savoir ou se donner une chance d’espérer que le mal partira de lui-même.
Premier contact avec Malte. Routes fleuries de géraniums et de lauriers roses. Végétation en avance d’un bon mois sur celle du Midi. Nous logeons à l’hôtel intercontinental. Dehors, la plage, le port. Impression d’être au cap d’Agde en juillet-août et tout de suite envie de fuir. Dire que nous sommes sur ce caillou en repérage pour éventuellement y passer un an afin les enfants apprennent l’anglais.
On amène les enfants se baigner dans une crique réputée, juste en contrebas d’une immense usine de desalination. Eau moyennement propre (la Grèce est bien loin). Émile plonge, il ressort immédiatement en hurlant. Il s’est fait piquer par une méduse. On s’en va à la recherche d’une pharmacie, on atterrit dans une ville portuaire, Il-Brolli, pas prétentieuse, face à un immense dépôt de conteneurs. On aime ce côté brut, en prime on découvre un très bon restaurant.
Mercredi 30, Malte
Malte, c’est une île avec du béton. Hors des agglomérations, une gageure, on se retrouve coincé entre des murs de pierres jaunes.
Jeudi 31, Malte
Pas le temps d’écrire, pas la tête à ça, pas sublimé par Malte. J’imagine mal y passer un an, d’autant plus que nous avons maintenant une offre ferme pour Miami, reste plus que quelques formalités côté Visa.
Ce matin, j’attends Isa et les enfants pendant qu’ils visitent une troisième école. Nous découvrons qu’ici le niveau scolaire à âge équivalent est bien plus élevé que chez nous, nous grande puissance peu à peu distancée par le reste du monde, parce que notre système éducatif refuse de se remettre en cause.
Samedi, j’ai terminé le premier jet de mon histoire d’amour. Je relis, je lisse, c’est tout. Je suis aussi la campagne participative pour le financement de L’Affaire Deluze, dont l’objectif est largement dépassé, mais je sais que Les XII singes attendent bien mieux avant de s’enthousiasmer.
Cette campagne me donne l’idée d’un projet d’écriture, dont les chapitres ne seraient débloqués qu’au fil des souscriptions. Plus les lecteurs souscriraient, plus le livre serait long, par exemple, avec des options, genre des thèmes s’ajouteraient peu à peu.