Vendredi 4, Balaruc
J’ai publié mon journal d’Islande. Un lecteur me dit que je ne suis qu’un enfant gâté. Et alors ? Est-ce mal d’avoir les exigences d’un enfant gâté ? Surtout, je crois que je suis un consommateur comme un autre, en regard d’un certain prix j’attends une certaine qualité de service, sinon j’estime que je me fais rouler. Ce lecteur aurait mieux fait de me reprocher de manquer d’humour, mais j’étais si furieux durant tout ce voyage que j’avais du mal à prendre du recul sur moi-même comme sur l’Islande.
Nous profitons du passage des amis de Duniter pour créer nos comptes en banque dans cette première monnaie libre de l’histoire humaine. Nous allons bientôt toucher tous les jours un revenu universel de 10 ?1 (prononcer june). J’espère bientôt pouvoir vendre dans cette monnaie quelques-uns de mes livres.
Samedi 5, Balaruc
Rêve au milieu de la nuit brûlante. Je suis dans une ville, sur une place, genre place des Voges. On m’accompagne pour mon premier jour de travail, Isa, ma mère, c’est flou, je dois être très jeune. Je suis taxi, mais je marche. Je vais vers ma première cliente. Elle me demande de lui transporter un petit sac à main un peu plus loin sur la place. Je lui dis que c’est très court comme course. Elle me répond qu’elle va chercher ses valises et que nous allons à Megève.
Dimanche 6, Balaruc
Jeudi 10, Narbonne
Nous partons en vacances pour le Lot-et-Garonne, nous en avons rêvé en Islande. Sur l’autoroute, peu après Béziers, notre Audi nous indique qu’elle manque d’huile. On a l’habitude, elle fait ça depuis toujours. Je lui donne à boire 1 litre, sans vérifier le niveau. Nous redémarrons, elle a encore soif, bon pour un second litre. Elle a encore soif, mais je n’ai plus d’huile. Je me dis que le capteur de pression d’huile doit buguer et je fonce sur l’autoroute, sauf qu’au bout de trois kilomètres un crack se produit, plus de moteur, un clac, clac, répétitif, comme des coups de fouet. On a pourtant changé la courroie de transmission un mois plus tôt. Sur ma lancée, je roule encore à 140 km/h, plus vite que les véhicules sur ma droite, je mets le cligno, je dois attendre de perdre de la vitesse pour réussir à me rabattre sur la voie du milieu, puis sur la voie de droite, enfin je m’immobilise sur la voie d’arrêt d’urgence, au niveau d’un mur antibruit. Nous sortons immédiatement de la voiture, nous perchons sur le muret. Quand les camions passent, la voiture est secouée, je comprends pourquoi il est dangereux d’y rester enfermé. Nous nous positionnons en amont, pour ne pas la recevoir en pleine figure. Alors que nous appelons notre assurance, une camionnette de sécurité de l’autoroute arrive, l’agent super sympa nous montre comment un mois plus tôt une camionnette semblable à la sienne, garée exactement au même endroit dans les mêmes circonstances, s’est fait percuter par un camion, qui l’a émiettée, avant de se mettre en travers de l’autoroute. Leçon : il faut s’éjecter de sa voiture, même s’il fait un temps de chien.
Vendredi 11, Balaruc
Hier soir, nous sommes rentrés à la maison en taxi. Pour nous changer l’esprit, nous regardons Le Cercle, un film médiocre, le livre malgré ses mièvreries était plus édifiant. Le sujet : la transparence absolue, la surveillance généralisée. Dans la nuit, une idée m’est venue. Cette transparence absolue est impossible parce que les observateurs devraient eux-mêmes être transparents et ainsi de suite, ce qui implique une régression à l’infini, donc une puissance de calcul illimité. Il y aura toujours des coins d’ombre, et ils seront illimités. Pour une démonstration rigoureuse, voir le théorème de Gödel.
Encore des accusations suite à mes impressions d’Islande. J’aurais fabulé la surpopulation touristique. Je connais pourtant mes maths. J’ai parlé de surpopulation par rapport à la population locale : 6/1, ce qui implique que personne n’est là pour nous accueillir. Nous nous retrouvons entre touristes, où que nous allions. Et les lieux naturels les plus spectaculaires sont surpeuplés (quand ils ne se cachent pas dans les nuages, oui, la météo aussi c’est important quand on visite des sites naturels, surtout quand on manque de chaleur humaine locale).
On m’accuse aussi d’être contradictoire : de vouloir de la nature et de me plaindre des routes non asphaltées. C’est parce que nous nous suivons à la queue-leu-leu sur ces routes, nous envoyant des gravillons sur la gueule, si bien que toutes les voitures islandaises semblent avoir traversé des champs de bataille.
Vendredi 11, Narbonne
Avec notre Kangou, je reviens à Narbonne récupérer mon vélo qui était attaché à la voiture, nous la vidons au cas où elle parte à la casse, puis je reprends la route du Lot-et-Garonne.
Samedi 12, Maillardou
Pas de nouvelle de notre voiture, nous avons tout de même décidé de la remplacer, à contrecœur, car elle a l’âge de Tim et nous espérions encore la faire durer. Elle est un vestige de l’époque où nous gagnions beaucoup plus d’argent qu’aujourd’hui. Je me livre à quelques simulations. Entre l’amortissement, l’entretien, l’essence, l’assurance… Une voiture revient à 5 000 €/an. Invraisemblable. Et au bout de six/sept ans max, il faut revendre le bousin, car le conserver coûte alors plus cher que le remplacer.
Dimanche 13, Maillardou
Je ne veux plus qu’un éditeur corrige ma syntaxe. Ma syntaxe, c’est moi-même, elle emporte avec elle toutes les contorsions de ma pensée. La toucher, c’est me détruire. Résistants n’aura été qu’une opération de destruction.
Hier soir, je regarde Alien Covenant. Où sont les scénaristes ? Pour créer la tension, Ridley Scott sacrifie la rigueur, il transforme ses personnages en débiles mentaux, incapables d’utiliser même les technologies d’aujourd’hui. Je n’ai donc fait que rire quand j’ai vu ses héros se faire zigouiller un à un.
Jeudi 17, Maillardou
En rentrant des courses, j’entends le délégué des maires de France dire : « J’ai souvent recouru à de tels jobs… » Peu importe ces jobs, le « je » m’a choqué, ce « je » qui transforme la commune de ce monsieur en son entreprise, en sa chose. S’il n’a pas dit « Ma commune recourt souvent… » ou tout simplement « Nous recourons souvent… », ce n’est pas anodin. Comme tous ses semblables, cet homme oublie que je recours à ces jobs au moins autant que lui en payant mes impôts, il oublie qu’ils jouent avec mon argent.
Vendredi 18, Maillardou
Trop concentré sur l’histoire de mon père pour penser à autre chose.
Google m’informe que je dois passer mon site en protocole HTTPS, sinon il sera déclaré dangereux. Un jour, je n’aurai plus le courage de bidouiller. De la fragilité de nos contenus web. Rien n’est pensé pour garantir l’accessibilité de notre passé numérique. Notre époque hypertechnologique risque de perdre la mémoire. Les créations web des origines deviennent peu à peu illisibles.
Samedi 19, Maillardou
Je continue de me faire agresser au sujet de l’Islande, plus que je l’ai jamais été pour mes opinions politiques.
Un article dans La Croix sur La mécanique du texte. À l’avenir, je demanderai à valider mes interviews.
Lundi 21, Maillardou
Nous ne sommes pas fous. Un article du Wall Street Journal dit la même chose que nous au sujet de l’Islande. Je vais pouvoir pointer vers lui quand les gens m’accuseront de déformer la réalité et d’être de mauvaise foi. Je suis un sismographe, je ressens, voilà pourquoi j’ai pris en pleine figure le dérèglement islandais. Je comprends que tout ça puisse échapper à quelqu’un qui est en vacances. Moi je suis tout le temps en vacances. Je suis là pour voir ce que les autres ne voient pas, du moins j’aimerais.
Je suis abattu par l’écriture du livre sur mon père. J’ai terminé dix chapitres sur les douze prévus, le dernier nécessitera que j’aille à Toulon, si je peux accéder aux archives de la marine. J’écris ce livre pour le donner à lire, objectif qui me pousse à la minutie, mais quel intérêt peut avoir ce texte pour les autres ? Il s’agit d’une histoire comme il en existe des milliers d’autres. Je l’écris pour ma santé mentale.
On devient peut-être écrivain pour être prêt à écrire une histoire le moment venu. Tous les textes antérieurs ne feraient que nous y préparer.
Jeudi 24, Maillardou
Désormais, quand quelqu’un me dira que l’outil d’écriture n’influence pas l’écriture, je lui conseillerai d’abandonner l’ordinateur et de revenir à la plume, puisque ça ne change rien (en plus, c’est plus économique, merde ça change déjà ça).
Repas chez des bourgeois. Suis assis près d’un grand patron proche de Macron, naïvement optimiste, persuadé que des solutions anciennes résoudront des maux déjà anciens. Je lui dis que la complexité interdit l’homme providentiel, à moins qu’il ne propose une méthode politique adaptée à la complexité. Je suis pessimiste parce que Macron a déjà endossé un costume ancien.
Je parle du livre sur mon père. Ça passionne les invités, en tout cas ils le laissent croire. Ils me suggèrent de l’intituler Mon père était un tueur, c’est ma première phrase, mais le titre de travail du manuscrit est La lettre de mon père, cette lettre que je devais ouvrir le jour de son décès et que je n’ai toujours pas ouverte.
Je rentre avec une idée. Écrire la lettre de mon père. La placer à la fin du livre. La sienne, je la garderai pour moi.
Samedi 26, Maillardou
Mardi 29, Balaruc
Retour à la maison, avec cette nécessité de gérer à nouveau le quotidien, aussi de penser à l’avenir. L’échec de Résistants me turlupine, j’ai parfois envie d’écrire un autre livre sur les antibiotiques, sous forme d’un récit intimiste, L’autre vous-même, au sujet de notre cohabitation avec les bactéries et les virus.
Jeudi 31, Balaruc
Audi à la casse, nous avons une nouvelle voiture, une banale Nissan Qashqai, avec une tonne de gadgets, mais plus un moteur de voiture de course.
Je n’ai pas le temps d’avoir peur de manquer de projets que des idées émergent. Deux semaines en Islande pourrait être le récit détaillé de notre voyage en même temps qu’une critique du radicalisme culturel dont nous sommes tous victimes. Texte à écrire sur le modèle de Deux ans en Provence de Bill Bryson. La question : pourquoi tout le monde veut aller en Islande ? L’étude de ce mème servirait de modèle au questionnement de tous les mèmes semblables.
Je pense aussi à écrire J’ai débranché mes ados, une sorte de suite de J’ai débranché, où je raconterais notre stratégie numérique avec nos fils, nos batailles, tout en faisant le point sur des dizaines d’études divergentes. Un travail de plus en plus urgent : Tim entre en quatrième. Dans sa classe, ils se sont plus que deux à ne pas avoir de smartphone.