Lundi 1er, Balaruc
Vouloir convaincre est aussi vain que vouloir séduire. On a le don ou on ne l’a pas. Alors, les choses avancent à leur rythme. Impossible d’accélérer le temps.
Mardi 2, Balaruc
Cette nuit, nous n’avons pas dormi à la maison, pour cause de location à une équipe de tournage. Vers 7h30, je longe à pied l’étang et photographie des lumières qui d’habitude m’échappent : je découvre les mêmes lieux selon une perspective opposée. Je devrais me forcer à changer plus souvent de points de vue, et le monde en serait bouleversé.
Lundi 8, Balaruc
Lever de soleil radieux sur les Pyrénées enneigées, la chaîne lisible depuis sa chute méditerranéenne jusque loin vers l’ouest, sans que je sache nommer d’autres sommets que le Canigou. Mon incapacité à nommer m’a toujours terrifié. Comment puis-je vivre avec toutes ces choses sans nom, donc à peine présentes dans ma conscience ?
Mardi 9, Balaruc
Une tempête en Bretagne. Une femme se fait emporter par les vagues. Son mari tente de la rattraper, lui aussi se fait happer. Pendant ce temps, imperturbable, quelqu’un filme. Et sur les réseaux sociaux les gens se passent en boucle la vidéo sans ne rien trouver à redire. Je mettrais le vidéaste en tôle pour non-assistance à personne en danger. Plus je vois agir mes contemporains, plus je les déteste.
Samedi 13, Balaruc
Je lis On the move d’Oliver Sacks, une limpide plongée dans la génération de mes parents, un rasade de liberté extraordinaire en même temps que l’histoire d’une quête sans fin.
Dimanche 14, Balaruc
J’écris dans mon coin, dans le silence, et toutes les idées qui me traversent se retrouvent absorbées dans mon travail, sans qu’aucune ne déborde dans ce carnet, les réseaux sociaux ou mon blog. J’ai bien été tenté de m’amuser d’un parallèle : pendant que la France se préoccupait d’un énième nouveau gouvernement de marionnettes, nous recevions la confirmation de l’existence des ondes gravitationnelles. J’entends parler d’elles depuis toujours. Les voici enfin matérialisées dans nos capteurs. Même cartographiées. C’est toujours un grand moment dans l’histoire de l’humanité quand une nouvelle carte surgit. Idée d’un recueil : Histoires de cartes, sur le modèle des Très riches heures de l’humanité de Zweig, les cartes qui ont marqué notre évolution (géographiques, neuronales, génétiques, astronomiques…).
C’est la mode : le transmédia gagne même la littérature. Images, vidéos, sons… et des textes illisibles. C’est la surenchère à celui qui fera le plus moderne, oubliant au passage que tout art implique une technique minimale.
Mardi 16, Balaruc
Je reçois un énième mail d’avertissement Hadopi, transféré directement dans ma poubelle. On vit dans un monde stupide. Pour pirater sans crainte, il suffit de payer un VPN pour quelques euros/mois. Pourquoi, à travers une forme de licence globale, ne pas nous offrir de payer les créateurs en échange de quoi nous téléchargerions leurs œuvres librement ? En attendant, des entreprises spécialisées dans le téléchargement anonyme peuvent remercier le gouvernement d’interdire le piratage. Nous savons tous que la prohibition n’est pas une solution. Elle crée des cartels. Des voleurs s’enrichissent sur le dos des créateurs.
Mercredi 17, Balaruc
Sur Twitter, un ami se plaint du manque de connexion dans le métro, je lui réponds : « La RATP a l’obligation de ne pas installer le haut débit dans le métro pour nous laisser une chance de nous parler. » Nous parler est notre dernier recours politique. Je ne fais rien d’autre que vous parler quand j’écris. Et je lis vos réponses, parce que vous écrivez aussi.
Vendredi 19, Balaruc
Lundi 22, Balaruc
Depuis le décès d’Umberto Ecco, une de ses citations tourne en boucle sur le Net : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. » Je crois plutôt que les réactionnaires signent leur grand retour, sans craindre de s’affirmer. Derrière leur expertise, ils voudraient que nous fermions nos gueules et cessions de les concurrencer.
Jeudi 25, Balaruc
Après-midi à Montpellier. J’ai traversé la Comédie, remonté la rue de La Loge. Je perds l’habitude de la foule à force de rester dans mon village, dans ma maison. Toutes ces choses à acheter me choquent. Elles n’ont aucune espèce d’utilité. On dirait qu’il faut vendre pour vivre, et donc qu’il faut aussi acheter. La ville me donne une vision désagréable de notre civilisation. Aux rues commerçantes, je préfère les quartiers résidentiels ou industriels.
Samedi 27, Orcière Merlette
Je viens d’arrivée au ski avec les enfants. On a un appart glauque avec un éclairage caverneux et un frigidaire plus bruyant qu’un 747 au décollage. Il devait neiger, il vente glacial et il n’y pas beaucoup de neige. Et même pas de WiFi à squatter.
Je vois tous les Français excités à l’idée d’une grande manifestation pour dire leur ras-le-bol, mais au final pour affirmer leur conservatisme. Perdre ne serait-ce qu’une seconde à écouter le gouvernement, c’est renoncer à construire demain. Les mêmes iront voter comme des moutons de Panurge lors de la prochaine échéance.
Après le dîner, je me plante devant la fenêtre, et je vois des dizaines de TV allumées face à la montagne. C’est presque un choc. Je me souviens de ma lecture enchanteresse de La barrière Santaroga de Franck Herbert. J’ai en tête l’image puissante des intérieurs illuminés par les tubes cathodiques. Rien n’a changé depuis les années 1960 (et surtout pas à cause du Net).
Dimanche 28, Orcière Merlette
Impression de m’être fait entuber. Communication mensongère de la station au sujet de l’enneigement annoncé sur le Net (j’ai réservé la semaine dernière, donc j’aurais pu aller ailleurs). Les pistes ressemblent à des patinoires. Je n’ai jamais vu ça. Même les bleues sont difficiles, la poudre jetée sur les côtés par des rafales glaciales. Les moniteurs tout juste polis. J’avais pourtant un bon souvenir de l’endroit visité en 2012.
Lundi 29, Orcière Merlette
La monitrice de ski : Ça va les enfants ? Réponse : Bof. Elle se tourne vers moi. Ma réponse : le verglas… La monitrice : il suffit d’avoir de bonnes carres.
Triple miracle. Je récupère les enfants avec la banane. Ils ont passé la matinée livrés à eux-mêmes à s’entraîner au slalom géant dans le brouillard. « Demain, on fait un hors-piste jusqu’en bas dans la vallée. » Je suis soulagé. Je ne vais pas être obligé d’abréger les vacances, surtout que le second miracle ne tarde pas.
Nous montons jusqu’au sommet de la station et très vite nous quittons le brouillard pour nous glisser sous une couche de nuages à travers laquelle filtre le soleil. Il tombe quelques flocons dorés. Le paysage est à couper le souffle. Les montagnes flottent au-dessus des vallées invisibles. « On se croirait dans le Seigneur des Anneaux », résume Timothée.
Après deux heures de rouges et de noires, de goulets et de bosses, tous tendres à souhait, nous nous arrêtons pour déjeuner dans un restaurant d’altitude. Après le repas, je vais aux toilettes. « Thierry ! » Je trouve en face de moi le sculpteur Stéphane Gantelet. On s’embrasse. Il me dit qu’il est sur la terrasse avec ses enfants et sa femme, Juliette Mézenc, blogueuse, auteur comme moi chez publie.net. On n’en finit plus de se réjouir de la coïncidence. Elle suffit à nous rendre plus qu’heureux. Nous passons le reste de la journée à skier ensemble, jusqu’à finir par plonger à nouveau dans le brouillard, et manquer nous perdre, avec la sensation d’être de véritables aventuriers.