Se contenter de voter contre le FN, ça ne va pas suffire. Quand on relève la hauteur du barrage, l’eau derrière s’élève et on se prépare à une catastrophe plus grave un peu plus tard dans le temps. Il est donc urgent d’ouvrir des vannes dans les fondations et ainsi détendre les tensions.
Que faire ? Comment empêcher les réactionnaires de gagner sans cesse des points ? Comment empêcher la haine de l’autre de progresser ? Comment en revenir à une époque heureuse ?
Je lisais hier la description du Paris de 1904 par Stefan Zweig. Une ville joyeuse traversée de rires, de mixité sociale, où les paysans, les ouvriers et les bourgeois se mêlaient dans les cafés. Comment revenir à cette fête ? Parce que l’époque n’est pas si noire. Nous avons des problèmes, mais davantage de solutions.
Que faire dès lundi ? Parce que voter contre et puis se croiser les bras revient à laisser les mêmes cancres peu imaginatifs radicaliser le pays, nous enfoncer dans une récession intellectuelle sinon économique.
Que faire ?
Sans doute, commencer par parler encore et encore des solutions.
Mais peut-être parlons-nous trop sérieusement, un peu comme nos politiques, à toujours faire des promesses, dans le seul but d’une réélection.
Que pouvons-nous faire concrètement ? Seuls et collectivement ?
Seul. Perso, je devrais cesser de critiquer, de noircir, de plomber l’atmosphère. Je m’y efforce en consacrant plus de temps à l’écriture de fictions qu’à la critique sociale. Je m’intéresse de plus en plus au futur. Certains appellent ça la SF. « Nous, on ne fait pas ça, » m’a dit un éditeur parisien respectable avec dédain. Étrange réaction. Caractéristique de notre mal, comme un refus avoué de se tendre vers l’avenir, d’envisager ce qui est là, devant nous sur la route.
Nous avons besoin de plus de SF, d’une SF nourrie de rêves, qui nous montre les possibles et provoque en nous des rêves. Enfant, j’ai longtemps songé à ces années d’aujourd’hui. Nous volions en hélico électrique et explorions le système solaire. J’ai vécu tendu vers ce rêve. Je veux que mes enfants rêvent à nouveau d’un futur flamboyant. C’est notre devoir de rendre tout cela possible. Un devoir de créateurs, qui sans nier les holocaustes et les catastrophes, envisagent enfin une construction positive.
Racontons des histoires. Inventons-nous des destinées. Redonnons du sens dans un monde sans dieu, sinon les vieilles divinités ressurgiront, avec elles leurs excroissances les plus noires.
Collectivement. Je crois que nous avons besoin pour commencer de plus de paroles. Pas celles haineuses ou narquoises, le plus souvent dominantes en ligne, mais de paroles chaleureuses, passionnées, incorrectes, subversives, et surtout joyeuses. Nous devons nous retrouver, nous rassembler, créer partout des Woodstock verbaux, sans tribuns désignés, ou chacun peut s’adresser aux autres, où ça coupe la parole, où ça chahute, où ça ne respecte pas les convenances. Le politiquement correct nous a trop longtemps empoisonnés.
Il ne s’agit donc pas de créer de nouveaux partis, de partir à la conquête du pouvoir, mais de chanter un hymne que tous ceux encore attachés à la vieille politique reprendront en chœur malgré eux.
Il faut donner l’exemple. Faire ce que les politiques ne savent plus faire qu’au négatif, en nous démontrant leurs mensonges, leur réalisme étouffant, leur mauvaise foi, leur ambition dévorante, assez forte pour leur donner l’idée de s’allier avec le diable.
Notre société manque de littérature, de cinéma, d’art… qui nous peignent d’autres possibles. Aujourd’hui, les rayonnages des librairies sont tristes à mourir. Quand ils ne regardent pas le passé ou n’offrent pas des échappatoires narcotiques, ils narcissisent des auteurs en devoir de s’inventer des viols quand ils n’ont pas été violés pour de bon.
Le chantier est partout.
Je crois aux histoires.
Nous avons cessé de nous raconter des histoires pour aller de l’avant. Quand les conteurs renoncent à réédifier le monde, le monde s’effondre. Nous avons trop longtemps roulé en roue libre sur l’idéal des lumières.