En 2012, quelques jours après la sortie de J’ai débranché, j’étais dans le bureau de mon éditrice chez Fayard et nous regardions les chiffres de ventes librairie par librairie. Nous avions accès à toutes les stats Hachette. Certains livres, sortis le jour même, étaient déjà sur la liste des retours. Ils n’avaient tout simplement aucune chance de trouver un public.
La plupart des livres connaissent ce funeste destin. Quand ils ne sont pas retournés le jour de leur sortie, c’est dans les semaines qui suivent. Seuls les titres phares se maintiennent dans les stocks des librairies physiques. Faute d’espace de stockage, il n’existe pas d’autre possibilité. Le plus souvent, un livre vend durant quelques jours puis disparaît. La courbe des ventes s’interrompt pour ne plus tressauter que lors de rares commandes. La plupart des livres ne gagnent plus de lecteurs après trois mois et ils meurent.
Le même phénomène se répète avec les articles de blog. Après l’afflux initial, parfois très minimal, il ne se passe pratiquement plus rien, sauf sur quelques articles particulièrement bien référencés. En l’absence de problème de stock, la mort n’est pas aussi brutale qu’en librairie. On assiste alors à une rapide entrée en état végétatif.
Sur Wattpad, la situation est fort différente. La plateforme de lecture amène sans cesse de nouveaux lecteurs en début de livre et ramène les anciens lecteurs là où ils se sont arrêtés. Ce procédé est idéal pour qui publie des textes chaînés, les épisodes d’un feuilleton comme les différentes étapes d’une réflexion en cours de construction.
Je n’ai rien vu d’aussi rafraîchissant sur le Web depuis longtemps. Ailleurs tout le monde court après le temps réel. Les journalistes font tous du BuzzFeed. Prisonniers du flux, ils ont du mal à prendre du recul, à développer de longues enquêtes, à penser au-delà de l’immédiat.
Au contraire, sur Wattpad on peut construire un récit, voire une pensée, avec l’assurance qu’elle ne sera pas picorée de droite à gauche, et avec la certitude d’entraîner toujours plus de lecteurs.
Mon expérience est limitée à la publication quotidienne de 1 minute et à mes seules statistiques, mais j’ai l’impression que, sur Wattpad, tous les textes sont de plus en plus lus avec le temps. Quelques fans suffisent à en recruter d’autres. Le système de promotion des textes suffit à faire le reste.
Au-delà de Wattpad, un principe nouveau émerge. Celui de la lecture de livres appliquée au Web : ramener l’audience dans le déploiement de l’œuvre plutôt que l’emprisonner dans l’instantanéité du buzz.
J’aime cette vie en ligne à contre temps. Elle n’implique pas de rechercher une audience de circonstance, mais de construire une communauté, de réintroduire les discussions qui étaient communes à la grande époque des blogs.
J’y verrai plus clair quand j’aurai cessé de publier mes minutes quotidiennes, mais je ne vois pas pourquoi mon roman ne continuerait pas d’être lu, aussi longtemps que Wattpad fonctionnera et gagnera en popularité.
J’ai au moins une certitude : pour un texte long, le recrutement sur Wattpad est plus efficace que tous ceux que j’ai pu expérimenter à ce jour, et en premier lieu chez les libraires. Wattpad donne une chance à tous les romans, non pas seulement lors de leur sortie. Ils sont publiés pour durer dans un temps long, celui dont les œuvres ont besoin pour atteindre leur maturité.
Mon plus grand étonnement : que le modèle de Wattpad ne soit pas plus étudié, et surtout pas plus repris (hors du champ de la romance… à quand un Wattpad non-fiction ?). En tant qu’auteur, je trouve assez extraordinaire de pouvoir tester une idée, de voir comment un public plutôt jeune réagit… Les possibilités expérimentales me paraissent immenses, ne serait-ce que parce que le mode de promotion est compatible avec la lente maturation d’une œuvre.