Plus j’avance dans la rédaction de 1 minute, plus je mesure que je mets en œuvre une théorie esthétique que j’ai formalisée durant les années 1990 : l’échantillonnage.
Pensez à la technique de stockage de la musique numérique : on découpe la source analogique en échantillons qu’on traduit en nombres. Cela revient à faire une ponction de la totalité et de laisser l’appareil de lecture, et notre cerveau, reconstituer la totalité dans sa continuité.
Les peintres utilisent ce mécanisme depuis la fin du XIXe (Hokusaï, Monet, Cézanne…). En littérature, cela revient à proposer des fragments qui, ensemble, recréent un tout. C’est le cas pour les billets d’un blog. Ça marche en poésie. Ça peut même marcher pour un essai, par exemple avec le Hacker Manifesto de McKenzie Wark. Mais comment faire avec le romanesque puisque les fragments n’ont pas d’ordre ?
Avec 1 minute, j’ai trouvé une réponse sans y penser. Comme je redécris sans cesse le même instant, l’idée d’ordre s’efface. En toute logique, il existe une infinité de façons de lire le texte. Pour le moment, je me contente de le proposer dans l’ordre d’écriture.
Alors je tombe sur une réflexion de l’indispensable Jiminy Panoz au sujet de l’avenir des ebooks :
Le saut d’idée, c’est le découpage du texte en molécules ; c’est une rupture plus ou moins visible entre deux idées ; c’est un signal subtil pour le lecteur ; c’est un outil supplémentaire pour gérer le flux donc le rythme de lecture.
Je suis exactement en train d’écrire un texte moléculaire. Chacune de mes minutes est une molécule. On peut certes tourner la page pour passer à la suivante, mais en théorie on pourrait également rester dans le même lieu, le même pays, le même thème, le même personnage… Alors le livre se construirait au gré de la lecture (comme je l’avais esquissé avec mon proto Ératosthène interactif). Reste à inventer une ergonomie, une interface naturelle pour ce type de lecture… à Jiminy de se mettre au travail. La matière première est là.