Barbara Loup, responsable Formation & Documentation de l’académie de Montpellier, m’a posé quelques questions au sujet de la lecture numérique à l’école.
— Dans un des billets de votre blog, vous indiquez que lorsque vous avez le choix entre lire sur papier ou en numérique, vous optez pour le numérique. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
— J’ai écrit plusieurs articles pour expliquer les avantages de la lecture numérique, notamment sous la forme d’une liste humoristique : mobilité, confort, liberté, diversité de l’écosystème… En fait, je ne vois tout simplement plus aucun intérêt à lire sur papier, surtout quand on peut se payer une liseuse à encre électronique de dernière génération pour 39 €.
On la rentabilise en lisant quatre ou cinq textes du domaine public, gratuits en version ebook, genre Les trois Mousquetaires ou Le Rouge et le Noir. Combien de textes du domaine public doivent lire les élèves au cours de leur scolarité ? Bien plus de quatre ou cinq. La messe devrait être dite depuis longtemps, mais bien sûr ça n’intéresse pas les éditeurs qui gagnent pas mal d’argent en imprimant les textes du domaine public puis en les fourguant aux élèves.
Rien que pour le domaine public, la question de la lecture numérique à l’école ne devrait plus se poser.
— Depuis l’achat de votre première liseuse Sony en 2007, vous avez très certainement eu l’occasion de tester de nombreux modèles. Quels sont ceux que vous avez préférés ? Détestés ? Lesquels conseilleriez-vous aux professeurs-documentalistes qui souhaitent s’équiper aujourd’hui ?
— Toutes les liseuses à encre électronique utilisent en gros la même technologie. Outre le prix, je suis attentif au poids et à la définition de l’écran. Plus c’est léger, plus la résolution est grande, mieux c’est. Inutile d’écouter les rabat-joie qui parlent de compatibilité ou de système fermé. Avec le logiciel open source Calibre, on peut bourrer toutes les liseuses de livres.
En revanche, j’ai beaucoup de mal à lire des textes longs sur tablette ou smartphone. Je les réserve pour l’actualité, les blogs, la BD, ou pour retravailler mes textes, parce que l’annotation est plus facile que sur liseuse.
— Aujourd’hui vous semblez adepte du Kindle, pouvez-vous nous dire pourquoi ?
— Le Kindle est robuste, léger et, à l’instant t, il offre presque toujours la meilleure définition du marché (les autres constructeurs suivent avec six ou neuf mois de retard). Par ailleurs, l’écosystème Amazon est le plus développé. L’application Kindle marche sur tous les ordinateurs, toutes les tablettes, tous les téléphones. On peut envoyer des textes au Kindle par mail ou directement des pages Web avec le plugin Send to Kindle.
Un dernier avantage, et non des moindres, il est très facile de craquer les ebooks achetés sur Amazon, donc d’enlever les DRM, pour pouvoir ensuite lire les livres sur d’autres appareils. Je ne parle pas là de piratage, mais du simple confort de lecture. Je veux pouvoir lire les livres que j’achète sur mon Kindle, mon téléphone, mon ordinateur, et avec le logiciel de mon choix. Paradoxalement, le Kindle ne m’enferme pas du tout.
— Dans votre billet intitulé Ce que le Net n’a pas changé, vous n’abordez pas la question de l’école. Quel est selon vous le rapport entre le net et l’école (l’enseignant, l’élève, les apprentissages) ? Pensez-vous que le Net a changé l’école ?
— Mon expérience de l’école se limite pour le moment au primaire (mon fils aîné étant en CM2, mon cadet en CE1). Dans leur cas, les profs ne leur ont transmis aucune culture numérique. Donc, je pourrais en conclure que le Net n’a rien changé à l’école. Sauf, quand j’ai vu mon cadet s’amuser sur Khan Academy. J’ai alors l’impression que l’école ne veut pas changer avec le numérique, mais c’est peut-être une bonne chose, nos ministres prennent déjà assez souvent nos enfants en otages de leurs réformes précipitées et sans grande portée.
Le Net ne changera l’école que quand on y enseignera la programmation en même temps que le calcul et l’écriture. Tout le monde évoque cette nécessité, on n’y est pas. En attendant, cette matière est l’apanage de quelques spécialistes pendant que la plupart des jeunes, bien que digital natives, restent des digital ignares. Ils sont de bons utilisateurs, mais incapables de soulever le capot de leur machine. Ça ne poserait pas de problème si un ordinateur n’était pas une machine universelle. Enseigner le numérique, sans d’abord enseigner la programmation, me paraît dangereux.
— Quels usages des liseuses vous sembleraient les plus pertinents dans un établissement scolaire et plus particulièrement dans un centre de documentation et d’information (CDI) ?
— À la maison, nous avons des liseuses, des tablettes, des ordis, des smartphones… Beaucoup de tentations, mais nos deux fils n’ont vraiment commencé à lire des romans que le jour où je leur ai acheté un Kindle à chacun. Depuis, ils dévorent livre sur livre. Ils font même la course pour savoir qui lira le plus. Dès qu’ils ne comprennent pas un mot, ils cliquent pour avoir la définition. C’est assez bluffant.
Posséder une liseuse en propre a tout changé pour mes fils. Ils la règlent à leurs goûts, retrouvent leur bibliothèque, se définissent un espace de lecture personnalisé. La liseuse n’est pas un livre qui se prête. C’est un objet intime. Je l’ai compris sur le tas.
Tous les élèves devraient être équipés. Le rôle des CDI devrait être de charger des textes sur les liseuses individualisées. Prêter des liseuses, ça ne marche pas. Beaucoup de bibliothèques publiques ont fait cette expérience malheureuse. Il faut sortir du vieux modèle du prêt. Aujourd’hui, on donne les textes.
C’est d’autant plus facile que le moindre smartphone est une liseuse. Que de plus en plus de jeunes lisent et écrivent sur Wattpad. Pour donner envie de lire, il faut pousser les textes vers les environnements que fréquentent les jeunes et pas attirer les jeunes dans les espaces où ils ne veulent plus être.
Qu’un prof charge les livres au programme sur son compte Wattpad et je suis sûr qu’il sera surpris du résultat. Lire c’est un plaisir, c’est un jeu, alors il faut jouer.