Les beaux jours reviennent et, avec, deux calamités depuis que la digital detox est à la mode et que malencontreusement je m’en trouve être un des initiateurs.
Première plaie. La detox à toutes les sauces intéresse les étudiants en com et en journalisme, et sans doute davantage leurs profs. Trois jours avant l’échance de leur projet de fin d’année, pourtant décidé en début d’année, ils se réveillent. Tous veulent m’interviewer en urgence et quand je ne suis pas dispo, parce que moi aussi j’ai du travail, je ne suis pas cool.
Seconde plaie. Les journalistes installés ont fait de la detox un sujet marronnier au même titre que les régimes minceurs. Voilà qu’eux aussi ne cessent de m’appeler. Je les remercie de penser à moi, mais franchement j’en ai marre.
- Parce que, comme vous n’avez pas préparé votre interview, vous me posez tous les mêmes questions.
- Parce qu’aucun n’a lu J’ai débranché, pas même l’extrait gratuit.
- Parce qu’aucun n’a lu mes billets sur le sujet.
- Parce qu’aucun ne regarde ce qui a déjà été écrit par d’autres.
- Parce que j’en ai assez d’écrire vos articles au téléphone pour voir mes propos dénaturés dans un français approximatif.
- Parce que de toute façon vous ne parlez jamais de mon livre, sinon en le citant, donc ne me faites pas gagner le moindre lecteur.
- Parce que vous n’êtes que des pilleurs de sujet.
- Parce que si vos patrons veulent de vrais articles sur le sujet qu’ils me les commandent directement.
Je vide mon sac aujourd’hui parce que la semaine a été rude sur ce terrain. Hier, j’ai fini par envoyer bouler une journaliste. Ça commence toujours par un mail. « Mon sujet, c’est quand l’écriture devient thérapeutique… J’ai pensé à votre expérience de déconnexion. » J’accepte de discuter, parce que j’accepte presque toujours quand je suis disponible.
La nana m’appelle. Elle m’explique plus en détail son sujet. « Vous avez donc réussi à vous soigner de votre burn-out digital par l’écriture. » J’explose de rire. « Je me soigne de la vie par l’écriture. » Vu que je ne fais que ça depuis presque toujours, je ne vois pas ce que je peux répondre d’autre. « Je me suis soigné de la connexion par la déconnexion, pas par l’écriture. »
Voilà que la nana m’engueule parce que je n’entre plus sans son sujet, parce que je lui fiche en l’air son dossier. « Bon, alors on va parler de la déconnexion. Ça a commencé comment ? » Cette question à la con me fait bondir. J’explique que je n’ai pas envie de répondre à des questions bateaux et de lui écrire son article au tel. Je la renvoie à mon livre, ce qui a le don de lui déplaire. Elle me fait bien comprendre que je renonce au privilège d’être cité par elle. Que je suis un ingrat, que je le regretterai.
La vérité est assez rude : la plupart des journalistes comme des étudiants en journalisme ne lisent plus. Un interview est pour eux l’occasion d’économiser du temps et ils se fichent bien de savoir s’ils en font perdre à l’auteur, qui lui devrait être trop heureux d’avoir attiré leur attention.
Atterrissez : vous ne faites plus vendre, vous n’êtes plus des passages obligés. On peut très bien vivre sans vous. Je veux bien vous accorder du temps, mais pour un échange mutuellement enrichissant. Si je dois toujours banquer, c’est non. Parce que votre article où mon nom apparaîtra, je n’en tire aucune gloire ni fierté. Je suis prêt à vous donner des heures, si ces heures même me grandissent. Ce que vous en ferez après, c’est votre affaire plus que la mienne.
Je sais déjà que j’écris cet article pour rien. Parce que les prochains étudiants et journalistes qui voudront m’interviewer ne le liront pas. En attendant, ça me fait du bien de l’écrire.