Florac est une ville sans intérêt, et c’est peut-être dans ces villes qu’il se passe les choses les plus intéressantes. Je crois à cette théorie de la non-promesse non tenue.
On trouve à Florac des maisons carrées serrées autour de rues étroites, des crottins sur le macadam, des nids de poule, et on y entend le chant du coq en fin d’après-midi.
Je me retrouve dans le village de mes grands-parents maternels, qui m’est toujours apparu comme moyenâgeux. Là-haut, à la frontière de la garrigue, c’était un tout autre monde dont je subodore la survivance de vestiges au cœur des Cévennes.
J’y suis venu pour parler de l’écriture, sujet sans doute anachronique, déplacé, à contre temps en cet endroit hors du temps. Une sorte de langueur s’est emparée de moi. J’ai quitté le lieu réservé aux éditeurs et aux auteurs pour traîner au hasard. Saisi par la première idée de ce texte, j’ai fini assis sur le rebord d’un trottoir, coincé entre deux voitures aux museaux menaçants, avec au-dessus de moi un magnifique rocher qui invite à l’escalade.
Je sais que je ne commencerai à comprendre Florac qu’une fois là-haut. En surplomb, loin de la vie, mais avec son spectacle étalé pour que je puisse l’aimer sans m’y mêler. Je suis un peu comme ça, un observateur distant. Trop habitué aux écrans et à leur ascétisme.
J’avance plus loin, la maison du parc national des Cévennes, une place, des cafés, la mairie, une rivière avec écluses et cascades, une autre place, d’autres cafés, une petite vie, avec tout ce qu’il faut de boutiques, comme on en cueillait jadis dans toutes les agglomérations. Volonté forte d’autarcie. Tout avoir sous la main, même en cas de dévastation.
Je ne suis pas fan des façades bétonnées, grisées de poussières, les fenêtres un peu trop systématiquement alignées aux volets presque systématiquement clos. Je n’ai rien d’autre à écrire, juste à maintenir le rythme, pour cueillir celui discret de la ville.
Des voitures passent, en observation, à la recherche d’une place, parce que c’est bientôt le pot du maire, exactement comme au début de L’écrivain national de Serge Joncour. Je suis aujourd’hui dans la peau de son héros. Mais je n’ai pas encore vu sa belle héroïne ni découvert un fait divers dans la presse locale que je n’ai d’ailleurs pas ouverte.
Je prends un peu de hauteur. Les maisons se nichent au creux de la vallée, avec des échappées boisées de pins, d’autres d’arbres caducs, peut-être des châtaigniers.
D’en bas, en direction de la mairie où je devrais être, monte un fond de musique vulgairement populaire. Une ligne de boîte à rythmes déjà à la mode au début des années 1990. Un jour, ils danseront avec ça les vieux, même si les accordéons ont la vie dure.
La rivière produit un bruit de fond qui étouffe la techno et abandonne le champ auditif à un oiseau en forme printanière. C’est une grande frustration de ne pouvoir le nommer. Je ne sais pas si son nom changerait quelque chose à sa perception littéraire. Il ne serait sans doute pas plus présent dans votre esprit, sauf si vous êtes ornithologue.
Plus on utilise de mots, plus on restreint son lectorat. C’est mécanique. Ajouter des détails ne fait que détruire peu à peu les images mentales immédiatement projetées. Au début, il manque trop de détails, puis invariablement l’auteur va trop loin. Quand je lis des fictions, j’ai envie de supprimer tous les qualificatifs contre-productifs, sauf quand je lis le Guépard. Bon, j’arrête de parler de littérature et je vais rejoindre la bande des éditeurs et des écrivains.