À l’occasion du Salon du livre de Paris, auquel ils accordent encore une importance et dont ils font le centre de la vie éditoriale nationale, les auteurs de tout horizon se regroupent pour diffuser une lettre ouverte signée par le CPE (Conseil Permanent des Écrivains).
Mais nous sommes bien loin de l’idéal réformateur du Conseil National de la Résistance dont le CPE détourne le nom et les objectifs. Quelques extraits et mes commentaires.
Les auteurs de livres sont clairement en danger.
Réponse brève : Je ne suis pas auteur de livres, je suis auteur. Ce simple positionnement résout bien des problèmes.
Réponse longue : êtes-vous surpris ? Le livre n’est plus qu’un des canaux de diffusion de l’écrit. La presse souffre tout autant. Logique, nous lisons ailleurs, et le plus souvent sur le Web. Rien que les blogs cumulent plus de temps de lecture que tous les livres réunis.
Oui, les auteurs de livres sont en danger quand ils s’enferment dans un support qui doucement laisse place à un autre (comme l’étaient les écrivains qui jadis ont refusé l’imprimerie). Pour autant, pas question de renoncer au livre/ebook, mais pas question non plus de tomber des nues quand les chiffres s’avèrent désagréables. Quand on écrit ou dessine des livres, il faut chercher ce que désormais le livre seul peut dire. Pas simple. Sans ce travail la disparition est assurée. Le marché se réduira dans tous les cas sous les coups des innovations qui surviennent sur d’autres médias et aspirent les lecteurs à elles. Le temps d’attention du public n’est guère extensible.
Bien sûr, cette crise de transition vers Après le livre ne doit pas être l’occasion de se faire tondre la laine sur le dos. L’auteur déjà affaibli par le marché se retrouve en position de faiblesse quand les lames de la tondeuse s’approchent, d’autant que la crise est prétexte à toutes les politiques d’austérité. Pour nous défendre, nous devons peut-être justement dépasser le livre, devenir des auteurs dans notre siècle. Alors nous serons dans doute mieux armés pour défendre nos droits et en conquérir de nouveaux.
c’est la création éditoriale qui est menacée, dans sa liberté et dans sa diversité.
Désolé, mais selon moi la diversité n’a jamais été aussi grande, simplement je ne la trouve plus uniquement dans les livres. Ici même sur le Web et ses avatars, j’en prends tous les jours pleins les yeux, les neurones et le cœur.
Les auteurs n’ont jamais été aussi libres de se lancer dans les projets les plus fous et ils le font, sans attendre l’aval de qui que ce soit, sinon de quelques lecteurs.
La diversité et la liberté se déplacent comme les lecteurs, avec eux. La menace pour ceux qui vivaient de l’ancienne économie est de ne pas trouver à vivre dans la nouvelle. Cette crainte est malheureusement bien réelle. Mais un créateur n’est-il pas curieux de nature, capable d’aller voir ailleurs ? Si on a peur de la nouveauté, on hérite de la peur et de la nouveauté.
Oui, un problème sérieux se pose. Le nouvel espace d’expression repose sur une économie incertaine. Il sera peut-être à l’avenir plus difficile de vivre de ses créations.
- Cela n’est peut-être qu’une difficulté passagère due à un manque de maturité du marché.
- Néanmoins, ce problème financier affecte toute la création, artistique ou non. Il exige une solution d’envergure comme le revenu de base.
- Si la société est incapable d’une telle mesure, moins de créateurs vivront de leurs créations (ce qui ne me paraît pas souhaitable).
un auteur sur cinq est rémunéré à un taux inférieur à 5 %.
Réponse rapide : si on me propose 5 %, je vais voir ailleurs.
Réponse longue : oui, les auteurs doivent refuser de telles conditions. Pour cela, ils doivent cesser de voir le livre comme leur unique porte de salut, ce qui met en position de force les éditeurs. Quand un auteur arrive chez un éditeur en sachant qu’il pourrait éventuellement sans lui diffuser ses œuvres, il est plus fort.
Rappel : l’espace éditorial ne se réduit plus au livre papier stocké dans les entrepôts. À mon sens, les auteurs les plus riches, les plus rentables pour les éditeurs, devraient donner l’exemple. Montrer comment on peut coloniser en solo d’autres espaces de diffusion. Malheureusement, ils n’en éprouvent pas le besoin, parce qu’ils ne signent pas à 5 %. Par chance, on a de nombreux exemples aux États-Unis. Quand on fait la démonstration qu’on peut exister sans éditeur, les éditeurs redeviennent des partenaires intéressants.
Face à la stagnation du chiffre d’affaires de l’édition, multiplier à l’infini le nombre de nouveautés, est-ce vraiment la meilleure stratégie ? Avec deux cents nouveaux titres publiés par jour (dimanche compris) comment les auteurs peuvent-ils vivre de leur métier ? Comment les libraires peuvent-ils défendre les œuvres ? Comment le lecteur peut-il s’y retrouver ? La surproduction n’est pas la diversité.
Est-ce de la faute des éditeurs ou des auteurs si on publie autant ? Je vous pose la question. En l’absence d’éditeur, cesserez-vous de créer ? Je ne crois pas. Vous ferez comme tous les refusés qui diffusent leurs œuvres en direct sur le Net, et qui pour certains connaissent des succès phénoménaux.
Nous entrons dans une époque de créativité débridée et ouverte. La concurrence créative ne cesse de s’accroître. Vous pouvez la mépriser, n’empêche elle vous concurrence et elle explique en partie la stagnation du marché.
Si vous pensez qu’on publie trop, arrêtez donc de publier, ne demandez pas à vos collègues de le faire. Vous aimeriez vous inclure dans un petit club où vous seriez les seuls auteurs officiels. C’est terminé cette époque.
Les éditeurs suivent simplement une tendance historique forte, celle de l’explosion créative. Ils publient non seulement pour occuper le marché, mais aussi parce que ça fuse en tout sens. Il serait certes sage pour eux de moins publier, mais le nombre d’œuvres disponibles chaque année, ou même chaque jour n’en sera pas divisé. Vous affirmez 200 par jours. Vous comptez vraiment mal. Des milliers d’œuvres se déversent sur nous chaque jour. Vous voyez, même votre manière de calculer est inadéquate. Vous refusez de prendre en compte l’ensemble de la création. Vous vous placez sur une île qui serait protégée de la géniale tempête planétaire.
prélèvement sur les ventes relatives au domaine public du livre
Je suis vraiment inquiet quand je lis ce genre de choses. Parce que je diffuse beaucoup de mes textes dans le domaine public, mais je n’ai aucune envie que vous les ponctionniez.
Vous avez une conception archaïque et étroite du domaine public. Aujourd’hui, des millions de créateurs l’alimentent quotidiennement. Vous voulez taxer ces créateurs ? Sinon, comment ferez-vous la différence entre telle œuvre taxable et telle autre qui ne le serait pas ? Usine à gaz évidente. Le domaine public doit rester inviolable. Les gens le prennent en font ce dont ils veulent, même de l’argent.
Les récentes propositions du rapport Reda visant à étendre le nombre ou le périmètre des exceptions et limitations au droit d’auteur sont alarmantes.
Je ne m’étends pas sur ce point qui a déjà été abondamment débattu. Mais, par exemple, je m’attriste de voir des auteurs contre l’idée d’uniformiser la durée des droits postmortems à 50 ans. Franchement, ça vous défrise en quoi ? Qui profite de cette durée démesurée sinon quelques éditeurs centenaires qui se constituent ainsi un trésor de guerre ?
Le rapport Reda prend en compte l’évolution de la société, il cherche à vous offrir un bateau pour quitter l’île dans laquelle vous vous réfugiez. Vous feriez mieux d’y regarder à deux fois parce que l’eau monte de plus en plus vite.
Pour le reste, pour tous les points que je ne commente pas, je suis d’accord. Je ne dis pas que nous ne devons pas nous défendre, mais nous ne pouvons pas le faire en nous arcboutant sur une conception datée de notre métier et du monde.