Gilles Boutin, journaliste pour Atlantico, m’a posé quelques questions au sujet du NaNoGenMo, un mois pour écrire un programme qui écrira un roman (questions auxquelles j’ai répondues à la vitesse de la lumière). L’idée de la littérature générative n’est pas neuve, elle commence avec l’informatique. En 1964, Jean A. Baudot publie La Machine à écrire, mise en marche et programmée par Jean A. Baudot.
— Les ordinateurs peuvent-ils effectivement faire le même travail que l’écrivain, ou du moins sont-ils sur le point d’y arriver ?
— Nous autres humains ne sommes pas tous capables d’écrire des romans. Et même parmi les romanciers, nous ne sommes pas tous capables d’intéresser beaucoup de lecteurs. Pour qu’un programme soit capable d’écrire un roman, il faudrait qu’il soit capable d’être un peu humain ou, tout au moins, qu’il réussisse à se faire passer pour humain, c’est-à-dire réussisse le test de Turing. À ce jour, nous sommes encore très loin du compte, mais je suis sûr que cela arrivera. Ray Kurzweil annonce l’évènement pour 2035. Les ordinateurs devraient alors être plus intelligents que nous et peut-être qu’ils deviendront de très bons romanciers. — Quels sont les principes de base de cette technologie ? L’intelligence artificielle peut-elle s’améliorer d’elle-même ?
— La voie la plus prometteuse est sans doute de créer des machines qui apprennent et évoluent à très grande vitesse, souvent par les mécanismes d’essais et d’erreurs propres à l’évolution biologique. Dès qu’une machine sera plus intelligente que l’homme, elle pourra créer des machines encore plus intelligentes qu’elle et ainsi de suite. Nous entrerons dans une phase historique de totale imprévisibilité.
— L’humain ne conserve-t-il pas l’avantage intrinsèque de l’inventivité, là où la machine se contente d’imiter ce qui a déjà été fait ?
— L’inventivité est universelle. Si l’évolution biologique n’avait pas été inventive, nous ne serions pas là pour nous poser ces questions. On a déjà réussi à créer des programmes qui programment et qui découvrent à certains problèmes des solutions plus performantes que les nôtres et dont nous comprenons mal la logique. Je ne crois pas qu’en tant qu’humain nous ayons un quelconque privilège, malheureusement. Le premier programme écrivain date de 1952. Christopher Strachey, un ami d’Alan Turing, a écrit un compositeur de lettres d’amour. Depuis, la technique progresse… sans encore être capable de pondre un best-seller.
— Chaque époque a été révolutionnée sur le plan littéraire par des personnes qui ont apporté un nouveau style littéraire. Le Chateaubriand ou le Céline du 21e siècle pourrait-il être un ordinateur ?
— Je pense que les auteurs majeurs d’aujourd’hui bloguent, en tout cas publient en numérique plutôt qu’en papier. Ils écrivent pour la forme nouvelle de leur temps. Si demain nous avons des machines intelligentes, elles adopteront également la forme de leur temps, une forme propre aux machines et peut-être très étrange pour nous. Je ne vois pas pourquoi cette forme ne serait que littéraire. La littérature, c’est un concept humain, lié à la physiologie humaine. — En quoi cela révolutionnerait-il notre rapport à la lecture, à la création, et au génie ? Faut-il s’en méfier ?
— Si des machines deviennent plus intelligentes et plus géniales que nous, nous ne serons plus l’espèce dominante sur cette planète. Ça nous rendra peut-être enfin humbles. Parce que si nous ne le devenons pas, je ne donne pas cher de notre peau. Quant à la lecture, ce n’est qu’une technologie. Rien ne prouve qu’elle sera éternelle, même si nous-mêmes imaginons mal vivre sans elle. Demain, l’art pourrait toucher directement nos cerveaux comme l’a imaginé Ayerdhal dans La Bohème et l’Ivraie.