Nous autres auteurs sommes toujours en train de nous plaindre et néanmoins nous sommes toujours plus nombreux. C’est une situation bien paradoxale qu’il faut démêler.
Les raisons de la colère
C’est assez simple. Il suffit de machiner les chiffres du marché de l’édition 2013 publiés par le MOTIF. Avec un chiffre d’affaires global de 2 687 millions d’euros et 95 483 livres imprimés ou réimprimés, on arrive à un revenu par livre de 28 000 €. Si on suppose des droits d’auteur moyens de 10 %, un livre rapporte 2 800 €. Si on part sur une pagination moyenne de 200 pages, on arrive à un tarif de 14 €/page, c’est-à-dire moins que le tarif concédé aux traducteurs (je n’ose évoquer le salaire horaire).
Je peux poursuivre ces petits calculs mesquins. Comme 426 millions de livres ont été vendus, on en déduit des ventes moyennes par titre d’environ 4 500 exemplaires, ce qui fait qu’un exemplaire vendu rapporte en moyenne 0,63 € à son auteur.
Pour qu’un auteur atteigne un SMIC mensuel à 1 445 €, il lui faut vendre 27 000 livres/an. Ou disons la moitié de cette valeur, parce que dès qu’on dépasse les 10 000 ventes/an, on bénéficie de meilleurs droits ainsi que de conférences et autres activités rémunérées.
On peut aussi exploiter les données GFK sur le Top 50 2013, soit un peu plus de 14 millions d’exemplaires. Cela nous donne un revenu moyen pour ces auteurs d’environ 180 000 €, et en vérité au moins le double, parce qu’ils touchent plus de 10 % de droits, souvent jusqu’à 16 %, et que leurs livres, souvent des nouveautés, s’écartent grandement du prix médian de 6 €/livre.
Si on reste sur les valeurs moyennes, le cinquantième sur la liste avec 130 000 ventes, gagne dans l’année un peu moins que 5 SMIC. Il faudrait disposer du top 1 000 de GFK pour savoir à partir de quel rang le SMIC est atteint, sans doute bien avant le Top 500.
Les conséquences (logiques 1 - la résignation)
- Les auteurs qui vivent de leur art doivent s’estimer privilégiés.
- La plupart des auteurs ont un travail alimentaire, souvent de prof ou de traducteur.
- On se fait éditer pour se faire reconnaître et accéder à la communauté des heureux élus.
- En acceptant cette logique, on entérine la structure pyramidale de la société (et il est bien malaisé de la critiquer dans ses œuvres).
Les conséquences (logiques 2 - la révolte)
- Puisque se faire éditer ne rapporte rien et implique de perdre ses droits, on devient auteur indépendant.
- Puisque les chances de gagner de l’argent sont faibles, on expérimente et s’éloigne du domaine marchand qui ne peut nourrir qu’une petite minorité.
- On adopte des licences libres (et réciproques) pour faciliter la propagation de la culture contemporaine.
- On milite ainsi pour une organisation sociale plus transversale et sans doute plus juste.