Est-il temps de tourner définitivement le dos à l’édition traditionnelle ? Je n’ai pour le moment que des bribes de réponses, mais déjà quelques enseignements.
Si j’en crois mes stats Analytics via Cloudflare, 42 000 visiteurs uniques sont passés sur mon blog durant les 30 derniers jours, c’est-à-dire depuis la sortie d’Ératosthène.
Tous ont vu la bande-annonce du roman en haut de mes pages, seulement 400 l’ont visionnée durant cette période, soit un taux de conversion de 1 %, taux classique pour une publicité ordinaire, sauf que ce n’est pas une publicité ordinaire, mais la raison même de ce blog. Conclusion : la plupart des visiteurs se fichent bien de savoir où ils débarquent. Ils passent ma porte comme des malotrus, oubliant qu’ils entrent chez quelqu’un et non dans un vulgaire supermarché. Toute une éducation à refaire.
Quid des ventes de mon roman ? Je ne les connais pas exactement, puisque je suis le distributeur de la seule version électronique, soit le vendeur à travers immateriel.fr de 76 ebooks en un mois.
Si j’étais un auteur traditionnel, avec une part de marché ebooks supposée de 5 %, je devrais avoir vendu environ 1 500 livres papier. Cela en postulant une diligence de mon éditeur sur le terrain des libraires physiques égale à la mienne en ligne. Ça n’a pas été le cas, loin de là, d’autant que j’ai appris que la mise en place physique initiale n’avait pas été supérieure à 300 exemplaires (autant ne pas publier un livre dans ces conditions). Vous pouvez ainsi considérer que je suis un quasi-autoédité et que tout se joue depuis mon blog.
Pour obtenir une estimation plus réaliste de mes ventes papier, je pars du principe qu’Amazon représente environ 7 % du marché du livre (sur environ 12 % des biens culturels en général). Comme j’ai en gros vendu 26 livres chez Amazon, et sans doute un peu plus parce que mes stats sous-estiment la réalité en regard de mes observations sur le numérique, j’ai probablement vendu 371 livres papier (et sans doute moins vu la piètre mise en place). Au total, j’ai donc vendu en un mois environ 447 livres et ebooks, soit là encore un taux de conversion visiteurs blog vers livres de l’ordre de 1 %.
Je peux aussi déduire avec beaucoup de pincettes que le numérique représente au minimum 17 % de mes ventes, valeur intéressante à comparer avec mes revenus. Quand je vends un ebook, je gagne 60 % du prix public hors taxe, soit 5,64 €, j’ai donc gagné 428 € avec les ebooks. Dans le même temps, je touche 10 % du prix hors taxe des livres papier, soit 1,7 €. J’ai donc gagné 630 € avec le papier. Le numérique représente ainsi 40 % de mes revenus (valeur à coup sûr sous-estimée).
Une question surgit. Pourquoi continuer avec un éditeur ? Si j’avais vendu en impression à la demande Ératosthène dans les librairies en ligne, soit environ 20 % du marché, j’aurais gagné au moins autant que tous mes droits papiers actuels. Conclusion : pour un auteur présent en ligne comme moi, l’édition avec un éditeur mou n’a aucun intérêt. Elle ne m’apporte guère plus de lecteurs, pas plus de revenus, je perds une partie de mes droits sans parler de beaucoup de temps à négocier et discuter les bouts de gras.
Je précise que j’ai effectué la quasi-totalité du travail éditorial sur Ératosthène avec une amie rémunérée au pourcentage et non avec mon éditeur, donc que la version autoéditée n’aurait pas été franchement différente de la version actuelle, d’autant que j’ai monté le texte, dessiné la couverture, écrit la quatrième…
Donc, à l’avenir :
- Comme pour Ératosthène, il serait sage que je garde mes droits numériques parce que je fais moi-même le travail promotionnel sur le Web.
- Si je signe avec un éditeur, je dois avoir l’assurance qu’il se retroussera les manches, sinon je lui offre littéralement mes droits papiers ad vitam sans en tirer le moindre bénéfice. Cette assurance devra être contractuelle, avec une clause de rupture du contrat si l’éditeur n’atteint pas son objectif (qui doit être largement supérieur à ce dont je suis capable tout seul).
D’autres considérations s’imposent
On le constate sur le graphique Amazon, après un pic provoqué par l’autopromotion, les ventes se tassent rapidement. Sans un déclenchement du buzz, je peux espérer au mieux doubler mes revenus en un an.
Pour que je puisse vivre de mon écriture tout en laissant mon blog accessible gratuitement, disons obtenir un revenu modeste de 20 000 €/ans, tout en travaillant en auteur pure-player, je devrais multiplier par dix mes ventes de livres, et du fait de la conversion en faire autant avec le trafic du blog, soit passer à 15 000 visiteurs uniques/jours ce qui est quasi inaccessible pour un blog techno-philosophico-littéraire (même s’il existe éventuellement un contre-exemple).
Ces chiffres m’apprennent d’autres choses.
- Mon éclectisme et celui de mon blog ne sont pas favorables à la promotion de mes textes longs. C’est la vie, je ne vais pas me changer ni changer la nature de ce que j’écris.
- D’une manière plus générale, un auteur ne peut se contenter d’une présence Web à travers un blog et les réseaux sociaux associés s’il espère s’offrir une audience un peu consistante sur ses textes longs.
- Le succès ne vient que du texte lui-même. L’audience instantanée, naturelle, acquise en ligne, déclenche un buzz de première génération, le 1 %. Tout dépend pour la suite du buzz de deuxième génération, celui engendré par les premiers lecteurs, puis par le buzz de troisième génération, engendré par les lecteurs de leurs lecteurs. Un blog n’aide pas à vendre des textes longs. Le blog ne contribue qu’à l’amorçage éventuel, tout simplement parce qu’il est une autre forme, un autre espace et qu’il implique une autre littérature.
- Je ne crois pas aux vertus de la lecture sérialisée de textes longs en plusieurs billets sur un blog. J’ai souvent noté un affaiblissement de l’audience quand les séries se prolongent épisode après épisode (phénomène guère surprenant puisqu’il se produit souvent avec les séries TV). Je pense mes textes longs pour l’immersion du lecteur, pas pour le saucissonnage, le feulleuton exige une autre écriture, intéressante, que j’explorerai un jour peut-être, mais c’est un autre exercice.
- Mettre un prix d’entrée à un texte long, hausse la marche, implique un engagement plus fort du lecteur qui, en lui-même, est significatif. Et qui, selon moi à ce jour, reste la seule estimation valable d’une audience. Une fois qu’un lecteur paye, il n’est pas là par hasard (même s’il ne lira pas obligatoirement, bien sûr).
- Quand je vois que 1 % de mon audience paye, je pourrais en déduire que ce que j’écris ne compte que pour 1 % de mon audience, ce serait ignorer la forme radicalement nouvelle propre au blog (reste que ne pas payer pose un problème à l’auteur).
- Quand je me plains devant certains auteurs de n’avoir vendu que 500 Ératosthène en un mois, ils ne me comprennent pas. C’est sûr que comparé à des auteurs du XIXe, c’est une audience respectable, mais dans notre monde elle a bien peu de poids, notamment financier.
- À mon stade du 1 %, j’ai bien raison de ne plus m’intéresser à mon audience Web. Même si je parvenais à la doubler ou à la tripler, je serai encore loin d’atteindre une masse critique. Le blog est un lieu d’expression, pas de promotion.
- Tant que je ne vends pas beaucoup, j’ai tout intérêt à me passer de la chaîne du livre et à la jouer en pure-player, jusqu’à ce qu’un de mes livres ait éventuellement du succès et me mette en position de force pour négocier.
- Je peux aussi m’attacher à un éditeur qui fera du travail au sol, sur le terrain physique, qui amplifiera mon travail et augmentera les chances qu’il se produise quelque chose. S’il en est incapable, signer un contrat d’édition avec lui n’a tout simplement aucun sens. Ça revient à faire un cadeau à une entreprise qui, en retour, ne fera rien d’autre qu’attendre que le succès vienne de lui même, éventuellement, sur ce livre, ou un autre, qui entraînera un mouvement de redécouverte des œuvres plus anciennes.
Le territoire des éditeurs se resserre. Nous n’avons plus besoin d’eux pour être lus, seulement pour être lus davantage (probabilité, il faut l’admettre, quasi nulle). En revanche, s’il reste un domaine où nous avons besoin les uns des autres, c’est dans le travailler ensemble, parce que pour ma part les collaborations ont toujours été fructueuses et ont donné naissance à de vraies amitiés. Alors je n’ai pas encore dit non aux éditeurs, et c’est à eux de me faire changer d’avis, parce que de toute évidence j’ai de moins en moins besoin d’eux.