Quand je quitte la maison, j’ai le vent dans le nez, il vient des Pyrénées, du large, on l’appelle largade. J’effectue un quart de tout de l’étang, je me pose sur un banc à Bouzigue, et j’ai toujours face à moi une largade, qui me vient droit de la montagne de Sète et non plus des Pyrénées.
Quelque part au milieu de l’eau, un étrange revirement survient, une torsion des souffles, pour laquelle certains humains disposent d’un don particulier. On peut les qualifier de politiciens.
Aller toujours dans la direction générale, ne jamais s’y opposer, où avec juste ce qu’il faut de légers écarts pour paraître original. Beaucoup d’artistes exercent ce talent. Répondre à l’attente du public, respecter les formes canoniques sans rien remettre en cause. Ces équilibristes finissent par être jugés de leur vivant comme des génies, avant que les formes neuves de leurs temps se condensent et donnent des pluies orageuses qui nettoieront les modes dépassées.
Une œuvre d’envergure finit toujours rattrapée par le vent dominant. Cette sélection naturelle, résultant d’un travail de sélection collectif, dispose de plus d’intelligence que n’importe quel critique. Elle surpasse en lucidité l’artiste même, qui toujours doute, souffre et menace de cesser sur le champ ses fariboles.
Quelle est la vitesse du vent ? Comme sur l’étang les soirs d’été, après des journées de calme plat, elle change sans cesse d’humeur, bien décidée à précipiter les esquifs mal arrimés vers la terre surchauffée.
Des hommes ressemblent à des cerfs-volants, tentés de s’échapper vers l’espace, mais bien ancrés dans la direction empruntée par la foule. Les casse-cous se penchent vers leurs pieds, coupent leur laisse et tombent plus loin en avant sur la ligne où tout le monde finira par arriver, à moins que le vent ne tourne. Riste non négligeable par météo capricieuse.
Les montés sur ressort se débattent, tirent sur le fil pour regagner la terre, puis filent où ça leur chante avant d’être brusquement retenus par la laisse et ramenés à leur point de départ. Une espèce de retenu les inhibe, sans toutefois leur offrir le plaisir de jouir de la direction dominante.
Les navigateurs se moquent des règles et de l’avis de leur semblable. Ils larguent les amarres une fois pour toutes et gonflent leurs voiles, du moment qu’elles les entraînent où personne d’autre ne va. Ils vivent seuls et meurent seuls, mais heureux.