C’est un nouveau défi pour me changer les idées après un Ératosthène* écrit en 14 ans. Le sujet, un illustre inconnu : Nicolas Dortoman. Explications nécessaires.
Je suis né dans un vieux pays, la presqu’île de Balaruc, peuplée dès la préhistoire, colonisée successivement par les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains qui y ont construit des thermes, bientôt abandonnés après les invasions barbares, puis peu à peu redécouverts et célébrés pour la qualité de leurs eaux, notamment par Rabelais qui dans le livre XXXIII de Pantagruel écrit en 1532 :
Peu de temps apres le bon Pantagruel tumba malade, & fut tant prins de l’estomach qu’il ne povoit boire ny manger, & par ce qu’ung malheur ne vient iamais seul, il luy print une pisse chaulde, qui le tormenta plus que ne penseriez: mais ses medecins le secoururent tresbien & avecques force de drogues lenitives & diureticques le feirent pisser son malheur. Et son urine estoit si chaulde que despuis ce temps là elle n’est point encores refroidye. Et en avez en france en divers lieux selon qu’elle print son cours: & l’on l’appelle les bains chaulx, comme à Coderetz, à Limous, à Dast, à Balleruc, à Neric, à Bourbonensy, et ailleurs.
Les thermes redeviennent populaires. Et voilà Nicolas Dortoman, futur doyen de la faculté de Médecine de Montpellier, où le même Rabelais a étudié, qui publie en 1579 un traité Des causes et des effets des Thermes de Balaruc. Le même Dortoman dont il sera question au cours d’un colloque les 18, 19 et 20 septembre. Je me propose de suivre les conférences tout en tentant de romancer l’histoire de l’homme en temps réel, avec pour désir de creuser ma terre, d’en chercher une musique enfouie, plus que dire toute la vérité sur ce médecin dont on ne sait quasi rien, sinon qu’il est l’exact contemporain de Montaigne et qu’ils se sont en toute probabilité rencontrés à Paris en 1588/1589.
J’ai cette sensation de devoir plus que jamais m’enraciner pour mieux me tenir debout dans un monde où tout vacille, où la technologie même hésite à rendre nos vies meilleures et se contente de nous distraire de ce qui pourrait être important pour nous. Et si être contemporain, c’était aussi s’inscrire dans le temps long plutôt que s’abandonner au grand surf ?
Je ne vais pas écrire un gros livre. J’ai toujours en tête La frontière de Pascal Quignard. C’est en quelque sorte le format d’aujourd’hui, une heure de lecture immersive. Peut-être qu’il me faudra plus de trois jours pour finaliser, pour lisser, pour épurer, mais je voudrais qu’un premier jet surgisse poussé par la simple exigence de l’exercice.
Je connais déjà quelques personnages. Dortoman qui écrit son traité vers ses 45 ans au moment même de la naissance de Pierre, son premier fils. Je l’imagine épuisé par les braillements. Je le vois quitter Montpellier et sa jeune épouse, Jacquette de Flotte, fille du seigneur de Sébazan.
Guillaume de Chaume l’accueille. Depuis l’oppidum de Poussan, ce seigneur, aussi premier consul de Montpellier, ami de Henri III, règne sur les rives de l’étang de Thau et il n’a de cesse de vanter les eux de Balaruc depuis que le révérend Guillaume Rondelet, lui aussi illustre médecin de Montpellier, par leur usage répété s’est guéri d’une méchante sciatique.
Manque de la chair et une histoire pour animer tout ce monde dans un lieu que je connais jusqu’au cœur. Une simple description ne lui ferait pas honneur.
Comment mener à bien un tel travail ? Je reprends la méthode mise au point avec Ératosthène, reprise pour Le Geste qui sauve. Je commence par construire un tableau chronologique sous Excel, avec en regard des différentes dates les âges des personnages. J’ai ainsi immédiatement repéré une incohérence concernant la date du mariage de Dortoman avec Jacquette de Flotte. Je compléterai ce tableau de tous les événements potentiellement intéressants survenus durant la vie de Dortoman, et plus particulièrement sur la période où il écrit son traité.
Avec Scrivener, je construirai des dossiers sur les personnages et les lieux. Je collerai des pages web, insérerai des PDF, des illustrations. Ce sera mon bloc-notes géant. Je ne sais pas si je l’utiliserai comme machine à écrire ou si je resterai attaché à mon désormais fidèle Ulysses III.
La suite dans quelques jours… avec toujours la peur que ce qui devait être bref ne m’entraîne pour des années.