Dans ma vie, je suis plus décroissant que la plupart des décroissants. Isa et moi avons choisi de diviser par dix nos revenus, de nous contenter de ce que nous avions, qui je l’avoue est déjà beaucoup… Et nous avons réussi cette décroissance parce que nous nous sommes créé un revenu de base, grâce aux appartements que nous louons. Quelqu’un me disait il y a quelques jours qu’il s’était créé un revenu de base en jouant au poker à haut niveau.
Le revenu de base peut libérer de la pression du toujours plus en apportant la sécurité et la sérénité. Mais je ne peux prédire ce que serait une société avec le revenu de base, je ne peux que la fantasmer.
Maintenant, je ne suis pas un fervent défenseur de la décroissance. Il me semble que la croissance est inscrite au plus profond de l’univers. Croissance de la complexité, avec apparition de structures de plus en plus bouleversantes. Galaxies. Biosphères. Consciences. Civilisations. Pourquoi devrions-nous stopper à ce stade ? L’aventure, c’est d’inventer la structure suivante, et cela est impossible sans nouvelles technologies.
À cette croissance naturelle s’ajoute la croissance créative, potentiellement immatérielle, sans impact sur l’équilibre de la biosphère. Quand je publie un texte, je participe à la croissance. Voilà pourquoi je ne me déclarerai jamais décroissant. Vivre, c’est croître. Cette croissance culturelle et spirituelle a besoin d’être valorisée puis échangée et partagée. Notre étalon est aujourd’hui la monnaie, peut-être imparfait, un avatar primitif, dont nous ne voyons pas toutefois comment nous débarrasser, mais dont nous comprenons que sa masse doit croître pour accompagner la « bonne » croissance.
Le revenu de base revient à répartir entre tous cette nécessaire croissance de la masse monétaire. C’est une proposition de justice sociale qui ne devrait avoir pour ennemis que les banquiers, aujourd’hui seuls créateurs de la monnaie (et va savoir pourquoi les partis de gauche se rangent dans leur camp, tout comme certains décroissants, parce que les banquiers se moquent de la « bonne » croissance).
C’est vrai, je ne suis pas un luddite comme la plupart des décroissants. J’ai confiance dans le génie humain et dans la technologie. J’aime notre époque et la préfère à toutes celles qui l’ont précédée. Déjà parce qu’on y vit en moyenne plus vieux, donc avec potentiellement plus d’expériences à connaître avant l’effacement.
Ma confiance se justifie logiquement. Si la part de « bon » en l’homme ne dépassait pas légèrement la part de « mal », l’évolution aurait été destructive. Autour de moi, je découvre beaucoup de destructions révoltantes, mais aussi davantage de merveilles. Nous avançons quoique les mauvais augures puissent dire.
Les décroissants ne sont pas mathématiciens. Ils font de cas particuliers des généralités. Oui, le progrès détruit certaines avancées et certaines personnes, mais il en protège d’autres en plus grand nombre. Quel décroissant refuse de porter des lunettes ou un pacemaker ? Les décroissants ne sont pas cohérents, et ne peuvent l’être. La décroissance est tout simplement impraticable. D’ailleurs les décroissants écrivent des livres pour défendre leurs thèses et participent à la croissance qu’ils dénoncent.
Ils le font par un aveuglement souvent induit par les principaux producteurs de croissance. À qui bénéficie la peur du manque d’énergie sinon aux producteurs d’énergie ? Jamais ils ne diront que bientôt l’énergie sera gratuite. La crise n’est que dans les têtes, mais pas dans celles des inventifs. Je crois naïvement qu’il existe des solutions à presque tous les problèmes. Je crois en l’homme, c’est ce qui fait de moi un humaniste. Si les décroissants ne croient pas en l’homme, je ne vois pas pourquoi ils se soucient de sa survie sur cette planète qui, elle, se débrouillera très bien sans nous. Je tourne leur position dans tous les sens et tombe toujours sur de telles contradictions.
J’ai fait le choix de la « bonne » croissance, une croissance qui s’oppose à la croissance aveugle, mesurée par le PIB et dont nous rabâchent les politiques. Je suis pour la croissance volontaire comme je l’ai écrit en sous-titre de L’alternative nomade. Parce que sans croissance de la complexité, il n’existe aucune croissance possible de la liberté.