Neil Jomunsi vient de faire l’éloge de Flattr, la plateforme de micropaiement particulièrement adaptée aux contenus Web, et qui serait selon lui une bonne façon pour un auteur de donner tout en étant rémunéré. De la théorie à la pratique, il y a un gouffre.
J’ai moi aussi activé Flattr, noyant le bouton parmi d’autres, par principe, pour expérimenter. Nous sommes quelques-uns à nous prendre de l’argent et nous le rendre, et au passage un seul acteur gagne : Flattr qui ponctionne 10 % de nos échanges.
J’ai écrit en décembre un long article sur « La fin de l’artisanat numérique » à paraître dans La revue information immobilière où j’explique pourquoi il n’y a plus, sur le Net, de la place que pour les plateformes. Et pourquoi, elles sont en train de tuer les petits business, celui d’auteur indépendant comme les autres.
Avant, nous autres auteurs, nous avions des éditeurs. Ils nous versaient un à-valoir, ils nous payaient à manger, à boire des coups, on se marrait bien ensemble (et c’est toujours le cas pour ceux qui ont encore des éditeurs). Aujourd’hui, sur le Net, on se débarrasse de l’éditeur, on chasse cet intermédiaire et le voilà qui ressurgit déguisé en plateforme. Qu’est-ce qu’on y gagne ?
Même plus la possibilité se rencontrer de nouveaux amis et d’avoir des retours cultivés sur nos écrits. Nous sommes des millions à nous faire ponctionner des centimes. Chacun de nous ne gagne rien, sauf quelques exceptions bien mises en évidence pour assurer la promo de l’arnaque, car la plateforme, elle, cumule nos efforts invisibles, elle les engloutit avec délice.
Comment croyez-vous que Facebook se paye ses startups à coup de milliards ? Avec nos contributions anonymes, chacune insignifiante, mais cumulées gigantesquement lucratives. Alors les entrepreneurs ne pensent plus que plateforme, ils n’ont que ce mot à la bouche, le nouvel eldorado qui implique la paupérisation de l’immense majorité des producteurs. Et les investisseurs les suivent, ces couillons, ces tueurs du Web, ces étourdis du bulbe, obsédés par répéter dans tous les domaines la même petite combine. Le livre n’y échappe pas. En streaming, en location, en vidéo, en je ne sais pas quoi sur je ne sais pas quel appareil. Et les journalistes crient génial, toujours la même idée encore et encore jusqu’à la nausée.
Un auteur accepte de travailler pour la beauté de l’art, pour le plaisir, pour la gloire posthume. Pas un développeur. Le libre, ça va un temps. Faut pas en faire un sacerdoce. Il y a trop à gagner en rejoignant une plateforme. Alors personne ne développe les solutions décentralisées de partage. Tout cela ne voit pas le jour, parce qu’il y a de l’argent à se faire avec les plateformes rapaces, et seuls les auteurs continuent à marner, parce qu’ailleurs il n’y a pas d’argent pour eux, leur ailleurs n’existe pas.
Alors à se faire tondre, autant que ce soit par les lecteurs en direct. Que personne ne gagne, mais que personne ne paye. Que ma misère ne fasse par la fortune d’un Flatr, d’un Twitter ou d’un Google. Toutes ces sangsues ne pensent qu’à nous sucer le sang. Nous créons, ils monétisent nos créations des centimes dont ils nous prennent des pouillèmes millionnaires.
La plateformisation du Net a signé la fin d’une époque, celle où personne ne gagnait de l’argent sur le Net. Aujourd’hui, on peut faire fortune, mais en pillant les œuvres partagées, aux yeux de tous, en toute légalité, sans que personne n’y trouve à redire. Au moins le pirate a la décence de partager pour diffuser les contenus qu’il aime. L’entrepreneur, lui, a oublié toute morale. Comme avec le crowdfunding, il promet la gloire et la richesse qu’il ne pourra offrir qu’à une élite de promoteurs qui se gavera sur le dos de la plèbe.
Alors Flattr… oui, tant que personne n’en use. Si Flattr commençait à connaître le succès, je m’en déferais, comme je me défais des publicités affichées par les sites, comme je me défais des plateformes autant que je le peux par toute une série d’artifices. Je veux bien payer, mais de la main à la main, en P2P, en établissant un lien fort avec les créateurs, un lien réciproque générateur de liberté et de bonheur. Flattr, c’est de la confiture donnée au cochon.