Les nouveaux alignements politiques ne disposent pas de leur petit livre rouge pour figer leur discours. Alors il faut se répéter, expliquer, préciser. Et répondre aux questions qui surgissent.
Rareté vs abondance
Il est vrai que nous utilisons souvent ces concepts sans les définir avec précision. Il existe plusieurs formes de rareté et d’abondance, et entre elles des choses qui ne sont ni rares ni abondantes (tout cela a rapport avec la théorie de la complexité).
Rareté naturelle L’or est rare en l’état de nos technologies. Idem pour le pétrole et la plupart des ressources fossiles. La biosphère, elle, est limitée. Les choses sont rares, les possibles sont limités. Les deux qualificatifs sont proches.
Abondance naturelle L’air est abondant, l’eau à l’échelle planétaire, l’énergie solaire reçue quotidiennement. Les terrains étaient naturellement abondants jusqu’à ce que la population augmente. L’information est également abondante sur le Net, à la TV, dans les bibliothèques.
Rareté voulue Dans beaucoup de pays l’eau est abondante, mais les constructeurs de barrages décident de la faire payer avec une monnaie elle-même raréfiée artificiellement (la théorie du revenu de base montre que la monnaie pourrait être abondante). Un livre sous copyright est raréfié artificiellement par rapport à un livre sous licence Creative Commons qui peut être librement copié et distribué. Quand on dit « rendre rare », il s’agit d’une rareté relative par rapport à l’abondance possible. C’est une raréfaction artificielle.
Abondance voulue L’énergie pourrait être rendue abondance pour peu que nous déployions le solaire, l’éolien, la géothermie… Des médicaments deviennent abondants lorsque les brevets qui les protègent sont levés. Les sculptures sont des œuvres naturellement rares, mais le recours aux imprimantes 3D pourrait les rendre abondantes.
La rareté et l’abondance n’ont pas de lien immédiat avec le numérique ou l’immatériel, bien que la technologie ait les moyens de rendre abondant quelque chose de rare (un livre copiable à l’infini) ou rare quelque chose d’abondant (l’eau en construisant des barrages).
Commoniser C’est l’action de transformer un bien rare ou raréfié en un bien commun. Exemple quand soixante-dix ans après la mort d’un auteur son œuvre bascule dans le domaine public. Je peux ainsi commoniser mes livres. Didier Pittet a commonisé la formule du gel antibactérien. En instaurant le revenu de base, on commoniserait la monnaie.
Commoniser, c’est partager, et d’une certaine manière pacifier la société. Un commoniste est un pacifiste, et donc il n’imposera jamais la commonisation à qui la refuserait. C’est à chaque créateur, en conscience, de choisir sous quelle licence il distribue ses œuvres.
Un chercheur est payé, un artiste pas
C’est tout simplement faux. Durant son année mirabilis, Einstein a révolutionné la physique sur ses temps libres. Sthephen Wolfram a créé Matematica pour financer ses travaux scientifiques, considérés par le monde académique comme de simples loisirs. Les exemples sont innombrables. Il existe beaucoup de chercheurs amateurs, en astronomie notamment.
Une œuvre de l’esprit est un œuvre de l’esprit, quel que soit son champ. Je ne fais aucune différence ente une théorie scientifique, un théorème mathématique ou un roman (ils peuvent d’ailleurs tous me procurer beaucoup de joie). Ne confondons pas l’œuvre et son mode de production. Si beaucoup de travaux scientifiques sont commonisés pour le bien de l’humanité, beaucoup d’autres sont brevetés pour le bénéfice de quelques-uns (même les universitaires brevettent). Aucune raison pour que cette dichotomie ne touche pas les œuvres d’art.
Le commonisme est un extrémisme
Cette idée d’attacher une priorité politique aux biens communs a pour je ne sais quelle raison le don de réveiller la haine de quelques personnes. Quand je leur apparais comme un commoniste modéré, donc encore respectable, ils crient au loup. « Ça commence comme ça, puis après vous allez voir les excès. » Plutôt que de prendre en compte mes arguments, ils imaginent d’autres arguments que je n’ai jamais défendus, que je réprouve même, mais qui pourraient éventuellement devenir les miens dans un futur proche. Et, donc, en vertu de ce futur hypothétique, je devrais être condamné.
J’espère que ceux qui professent de telles accusations mesurent le ridicule de leur position. C’est comme s’il fallait condamner tous les gens de gauche sous prétexte qu’ils pourraient devenir staliniens ou ceux de droite parce qu’ils pourraient devenir hitlériens. L’usage du principe de précaution a quelques limites, j’espère.
Un commoniste extrémiste pourrait vouloir que tous les biens basculent dans le domaine public. Pour ma part, je pense que cette bascule ne doit concerner que les ressources naturellement rares (que nous sommes en train de dilapider à tout jamais) et certaines ressources potentiellement abondantes (dont le coût de distribution et de reproduction sont quasi nuls).
Un commoniste extrémiste pourrait aussi vouloir une production en commun de tous les biens. J’ai bien l’intention de continuer à cultiver tranquillement mon jardin. Que certains projets impliquent la collaboration, je n’ai rien contre, je pense que c’est même indispensable pour résoudre les problèmes complexes comme les questions écologiques, mais ça ne concerne pas les autres types de problèmes.