Je ne vois pas comment je pourrais défendre un droit d’auteur qui cache en réalité les seuls droits des éditeurs, des libraires (de l’ancien régime), des institutions et de je ne sais qui. J’écris habité par la douce illusion d’avoir quelque chose à dire de potentiellement intéressant ou amusant pour quelques êtres tout aussi azimutés que moi. J’écris pour eux, et libre à eux de s’approprier mes textes.
Je ne refuse pas de gagner de l’argent avec mon travail d’auteur. Je ne crache pas sur la fortune. J’accepte les offres les plus ébouriffantes. La richesse ne me répugne pas, bien au contraire. Simplement, il me reste un brin de logique. Je ne suis propriétaire de mes textes que tant que je les garde pour moi. Dès qu’un lecteur se présente, il instancie en lui une copie tout aussi licite que celle que je possède moi-même. Et je ne peux l’en déposséder qu’en lui effaçant la mémoire, ou pire en l’assassinant.
Je peux exiger d’être reconnu comme l’auteur inaliénable du texte. C’est une prétention scandaleuse, mais j’y suis attaché, moi petit homme narcissique ayant besoin de temps à autre d’entendre ses louanges pour voir son cœur se réchauffer. Je suis comme ça, pas un saint, sinon je me cacherais, et pas comme Thomas Pynchon, en créant un personnage en creux, mais en poussant des textes anonymes. J’en suis incapable, trop attaché à moi-même, et habité d’une autre douce illusion, celle qu’à travers mon nom ma vie se nourrit.
Ce n’est pas totalement absurde. Parce qu’un texte peut me valoir des invitations à voyager ou à donner des conférences, autant de bénéfices indirects dont je me priverais si je n’étais pas reconnu comme auteur. Donc, je suis l’auteur. Et ce n’est pas discutable (pour l’instant).
J’ai d’autres prétentions, comme exiger que mes textes ne soient pas altérés et surtout qu’ils ne soient pas commercialisés sans mon accord. Manquerait plus que je ne gagne rien et que d’autres gagnent à ma place. Cette prétention n’est toutefois concevable que si je n’ai pas, au préalable, signé un contrat qui m’en retire la possibilité. Je pense à un contrat d’édition à l’ancienne mode.
Si ce contrat me reconnaît comme auteur, il ne me reconnaît pas grand-chose d’autre. Je n’ai pas le droit de modifier un texte déjà publié. Je n’ai pas le droit de le donner. Je n’ai pas le droit de le vendre. Je n’ai pas le droit de le monter au théâtre, d’en faire un film, un jeu vidéo.
Si je veux conserver mes prétentions d’auteur, je dois donc prendre garde à ce que je signe. Avec L’âge d’homme, j’ai conservé mes droits numériques. L’âge d’homme aura le droit d’imprimer mes livres et de les vendre en librairies physiques. Je pourrais faire joujou avec les versions ebooks. Ce qui, en l’état du marché, nous satisfait.
J’ai donc des droits, mais je ne suis pas propriétaire de ce que j’ai accepté de diffuser. Lire, c’est copier. Si j’étais propriétaire de mes textes, « Lire, serait voler. » Je ne suis qu’un auteur.