On parle alors plus volontiers de livres cultes. Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes. Escher, Gödel et Bach. Sous le Volcan. Le Guépard. Rien ne présageait un succès planétaire pour ces livres.
La facilité, la banalité, la médiocrité ne sont pas les conditions nécessaires de la réussite commerciale. De temps à autre, des ovnis traversent le champ éditorial. Ils entrent en résonnance avec les attentes du public, et d’une certaine façon réussissent à lui faire changer sa façon de voir le monde. De fait, ces livres ne peuvent qu’être rares (sinon le monde deviendrait fou).
Comme tous les best-sellers, les livres cultes bénéficient d’un emballement du désir mimétique. Le curiosité dévorante de découvrir leurs secrets, leur sagesse, leur savoir, leur beauté. Preuve que le désir mimétique n’est pas toujours négatif et engendre des effets positifs (et aussi que le lecteur de best-sellers n’est pas toujours fainéant).
Mais il existe une différence fondamentale entre le best-seller et le livre culte. Là ou le premier use de recettes, le second se singularise (et c’est pour cette raison que son succès est inattendu et presque incompréhensible). Il surprend, il choque, il bouleverse.
Nous découvrons concomitamment deux familles d’auteurs. Ceux qui aspirent au best-seller, ceux qui aspirent au livre culte. Le chemin vers les deux réussites est toujours hasardeux, tout en impliquant un engagement différent. Dans le cas du best-seller, il faut user des techniques acceptées. Dans le cas du livre culte, il faut pour la plupart les rejeter. Les premiers auteurs sont des artisans, les seconds des artistes. Et il existe autant d’artisans ratés que d’artistes ratés.
Chaque fois que je sors un livre, j’ai l’espoir qu’il entre dans la seconde catégorie, la première m’étant définitivement fermée. Et comme la seconde catégorie autorise toutes les expérimentations, c’est la voie de la liberté.