Je sais de quoi je parle. Je lis quatre ou cinq best-sellers chaque année et je contribue ainsi à leur irrésistible ascension. En 2013, 356 millions de livres ont été vendus en France, nous étions 65,8 millions de Français, nous lisons donc en moyenne 5,4 livres neufs/an et je contribue honorablement à la massification du marché de l’édition.
Je trouve toujours de bonnes excuses pour lire des best-sellers :
- Comprendre ce qu’aiment mes contemporains.
- Étudier les techniques narratives à succès.
- Pratiquer l’ethnologie comparative.
- Trouver la formule secrète pour mon prochain livre (qui en prend systématiquement le contre-pied ).
En vérité…
- Quand je suis fatigué, les best-sellers m’aident à m’évader.
- Ils me tiennent éveillé le soir plus assurément que les textes mieux écrits et esthétiquement plus attrayants.
- J’aime les histoires d’amour et les aventures invraisemblables.
- Le simplisme me repose.
J’avoue que je termine les best-sellers avec difficulté. Presque tous écrits dans le même style, ils finissent par m’écœurer. Ils tournent souvent en rond et se répètent jusqu’à la nausée, comme s’ils s’adressaient à un lecteur amnésique. Ils fonctionnent à la façon d’un massage dont le rappel devrait être toujours agréable et qui chez moi m’irrite bien vite.
Qu’à cela ne tienne, demain je recommencerai. Un best-seller me tentera, parce que trop de gens autour de moi en feront la réclame, et je succomberai au désir mimétique, sans que ce soit dramatique. Le mimétisme est chez l’enfant un processus d’apprentissage efficace. Il peut avoir des vertus socialisantes chez l’adulte. Il s’agit de ne pas s’y abandonner en toutes occasions.
Et pourquoi donc ? Le sentiment de différence serait source de bonheur. Plus je suis irréductible, plus je m’accomplis, plus je suis heureux. J’ai discuté de ce phénomène dans L’alternative nomade. La victoire du mimétisme, c’est donc la victoire inévitable de la morosité. Lire un best-seller de temps en temps ne fait pas de mal, mais ne lire que des best-sellers revient à ne regarder que TF1. Ça finit par plomber le cerveau. Ne nous étonnons pas, en suite, que le moral des Français ne soit pas au beau fixe.
Comment stimuler la curiosité ? Comme l’a rappelé Iza en commentaire : éducation, éducation, éducation… Il faut bien voir que les tenants de nos démocraties n’ont rien à gagner dans ce processus. Neil Jomunsi l’a rappelé : le processus électoral doit servir les partis dominants, et écarter les alternatives vers lesquelles la curiosité pourrait nous attirer. Tout est fait pour nous enfermer dans des cases en nombre le plus petit possible.
La diversification de la lecture ne pourrait que s’accompagner d’une diversification des opinions, des goûts, des philosophies, des modèles, des représentations… Le Net nous donne accès à cette diversité, c’est merveilleux, mais trop peu de gens s’en saisissent. Et l’évolution des habitudes de lecture prouverait même que le Net participe à la simplification de nos sociétés. Devant ce constat, il faut revenir aux fondements : éducation, éducation, éducation… Et ma façon d’éduquer, c’est par les mots. Tout faux.