Des sujets me travaillent durant des semaines, je veux en parler puis je renonce parce que tout le monde en parle, et d’ailleurs je ne les écoute pas, ou de très loin, par un effet de chambre de résonance propre à notre société connectée. Puis les mots s’emboîtent, presque par surprise.
Tout le monde nous rabâche les oreilles de la gouvernance de demain. C’est devenu de bon ton. Pas difficile de constater que la gouvernance d’aujourd’hui est catastrophique et d’admettre qu’il faut en changer. Mais peu de visionnaires politiquement corrects osent se débarrasser du mot même de gouvernance. Par leur usage de ce vocable, ils se reconnaissent les partisans d’une vieille tradition qu’ils refusent de remettre en cause.
La seule gouvernance possible dans une société complexe, c’est l’absence de gouvernance, ou plutôt une gouvernance distribuée entre tous. Il faut donc parler des organisations de demain et non de la gouvernance de demain. Et c’est alors que surgit Snowden.
Je résume. Dans son organisation d’hier, il a constaté des pratiques inacceptables qu’il a fini par dénoncer publiquement. Il a outrepassé les hiérarchies, il les a court-circuitées au profit de la transversalité la plus directe. Il s’est placé dans une organisation de demain par la simple force de sa volonté.
Vous qui travaillez chez Monsantos, Total, Areva, Apple… êtes-vous sûr que votre entreprise se comporte éthiquement en tout lieu et tout temps ? Le moment n’est-il pas venu de vider transversalement votre sac ? Car il n’existera d’organisation de demain qu’avec des consciences de demain. Si nous ne devenons pas tous des Snowden, nous resterons prisonniers des gouvernances impérialistes d’hier.
J’ai fait mon Snowden il y a bien longtemps. J’ai constaté qu’occuper une position hiérarchique me rendait malheureux et rendait malheureux les gens que je manageais. L’argent n’est pas entré en ligne de compte dans ma décision. J’ai choisi de changer de vie parce que la vie de manager était tout simplement pour moi une abomination. Être chef, c’est bien souvent aussi immonde qu’être espion.
On s’indigne des agissements de la NSA et on passe sous silence les millions d’espions qui s’approprient nos vies en échange d’un salaire. Les maux sont identiques : la crainte de l’autre, la peur de la transparence, la volonté de puissance… Ils poussent au contrôle, à la maîtrise, à la domination. Et l’information est une arme comme une autre dans cette quête propre aux anciens modes de gouvernance.
Alors les organisations de demain peuvent advenir aujourd’hui même si partout les consciences se lèvent pour dire non, pour dénoncer, pour alerter. Chacun de vous est un Snowden en puissance. Ne le laissez pas être le seul héros de notre époque. Vous qui occupez des postes de responsabilités, rejoignez-le. Ne vous contentez plus d’écouter ses révélations, doublez-les des vôtres, faites tomber un monde bâti sur le mensonge et le silence.
Je pense à vous, petits Snowden, à vos insomnies, à vos cernes, au dégoût que vous vous inspirez tous les matins en face du miroir, à ce que vous ne racontez ni à vos enfants ni à vos amis, à ces choses qui vous hantent et que vous acceptez en échange d’un salaire. Vous avez envie de tout lâcher, mais vous manquez encore de courage. Vous avez peur le lendemain de ne pas pouvoir payer votre crédit. Qu’est-ce qu’un crédit pour un héros ? Croyez-vous que les banques vous poursuivront ?
Vous attendez que d’autres se mouillent avant vous. Quand la vague déferlera, vous la rejoindrez avec allégresse. Mais elle a besoin de vous pour enfler, pour tout emporter sur son passage. La révolution doit se faire dans chacun de nos cerveaux. Nous n’avons pas besoin d’armes pour faire tomber un gouvernement particulier. Les potentats se sont glissés partout. Il faut les dénoncer et ils s’écrouleront, et avec eux la société corrompue qu’ils maintiennent à bout de bras hors de l’eau.
Vous dormez de plus en plus mal, petit Snowden. Vous enviez vos parents. Quand ils avaient des secrets, ils ne pouvaient que les garder pour eux. S’ils commençaient à parler, ils se faisaient descendre. Vous, il vous suffit d’un post et tout est dit, à tous et à tout jamais. Vous tuer ne servira à rien, sinon à faire de vous un martyre et d’accélérer la fin de la gouvernance dépassée. Pas fous les gouvernants. Contre l’information, ils n’ont d’autres armes que la désinformation.
Demain vous appartient, vous, petits Snowden.