J’aime lire les best-sellers. J’y cherche les raisons de leur succès. Je ne les lis pas pour eux-mêmes, mais pour leur rapport à tous les autres textes. Je n’y cherche pas ce qui est dit, mais ce qui en eux fascine. C’est une lecture de détective.
Et alors je pense à tout ce travail d’édition que je fais sur mes textes quand je travaille avec un éditeur vigilant. Couper. Nettoyer. Déplacer. Dans une quête impossible de pureté. C’est très beau, esthétiquement signifiant, mais inutile commercialement.
Prenez par exemple le roman de Joël Dicker, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert. Il souffre d’une montagne de défauts techniques, de répétitions, de ruptures pénibles de chronologie. Surtout, il se moque du lecteur intelligent, faisant reposer toute l’intrigue sur un point d’enquête de toute évidence négligé à dessein. N’empêche la narration fonctionne. Peu importe la langue où le texte est traduit, il connaît le même succès.
Il me paraît évident que la réussite commerciale d’un texte est enfermée bien en dessous de sa surface, dans ses soubassements. Aucun editing du texte ou même de la structure apparente ne changera au fond son destin. Et il en va sans doute de même pour les grands livres, à cela prêt que leur ADN affleure à la surface et que le travail patient peut les approcher du chef-d’œuvre.
Si cette théorie de l’ADN littéraire s’avère exacte, voilà pourquoi des livres autopubliés connaissent le succès. Ce qui séduit en eux n’est pas éditable ou perfectible. Ces textes n’ont pas besoin d’éditeur. Ils n’ont besoin que de lecteurs sensibles à leurs tripes, des lecteurs souvent indifférents aux imperfections de surface.