Laurent Margantin déclare : « Le blog est pour moi premier. » Pour ma part, je ne suis pas sûr de réussir à mettre quelque chose avant quelque chose d’autre (c’est mon côté non essentialiste). Avec un peu de mauvaise foi, je peux néanmoins déclarer : « L’écriture est pour moi première. »
J’imagine que Picasso aurait déclaré : « La peinture est pour moi première. » Jamais il n’aurait dit « Le Ripolin est pour moi premier », ou « Le collage est pour moi premier », ou même « Le cubisme est pour moi premier. » Une forme n’en exclut pas une autre, encore moins un support de médiation, ce qu’est le blog, l’équivalent de la toile de jute opposée à la toile de lin, au panneau de bois, au mur de plâtre (et c’est énorme ce que ça change).
Pour moi, le blog est premier quand je blogue. Quand je travaille à un essai, l’essai est premier (ça m’arrive parce qu’un billet ou une série ne conviennent pas aux longs développements qui demandent de nombreux repentis). Et idem pour le roman, sauf qu’à force de bloguer tout se mélange, une forme hybride émerge.
Je me sens le droit, le devoir, et j’ai surtout l’envie, de pratiquer le blog à côté d’autres formes, sachant que le blog est en ce moment une de mes formes principales, mais elle n’a jamais été exclusive et ne le sera peut-être jamais. En revanche, la pratique du blog, et notamment du Send, influence toutes mes autres pratiques. Ainsi je crois que le créateur qui ne se livre pas aujourd’hui au Send n’a guère de chance de toucher à notre contemporanéité (et j’insiste, le Send est plus fondamental que le blog qu’il inclut).
Que le blog pour une œuvre soit premier n’empêche en rien qu’elle se réincarne sous d’autres formes a posteriori (d’autant que je connais bien peu d’œuvres-blog non transposables en ebook par exemple – il faudrait que les auteurs recourent à des fonctions non HTML, du code). Pas plus, le primat du blog n’interdit pas la marchandisation de l’œuvre (et même le blog payant). Et comme le remarque Lionel Maurel, il serait même limitatif de se fermer à cette marchandisation. Chacun peut bien faire ce qu’il veut, d’autant plus quand il a commencé par donner son œuvre première. Pourquoi faudrait-il lui reprocher d’essayer de vivre de sa création a posteriori ? Est-ce une nouvelle forme de communisme ?
Je ne vois qu’une raison : la peur que cette commercialisation future, hypothétique, ne perturbe le travail initial. Mais la peur de ne pas manger ou de manquer de temps pour travailler peuvent être tout aussi perturbantes pour l’artiste. Le succès comme l’anonymat arrachent l’artiste à la pureté chimérique.
Laurent dit que « L’écriture web n’existe qu’à travers un archivage en ligne. » Si je détruis demain ce billet, rien de son Send n’aura été perdu. Il restera dans la mémoire de ceux qui l’auront lu comme une œuvre web. Un texte perdu de Parménide reste poétique et philosophique même après sa disparition. L’archivage n’est qu’une possibilité, très provisoire dans le temps long.
L’écriture web se joue au présent, dans la tension provoquée par le Send. Après ce qui est propre à cette écriture retombe, perd de sa vitalité, de sa dimension happening. J’avais d’ailleurs fait cette remarque lorsque Laurent a publié son voyage aux Kerguelen. Détruire, transposer, c’est dans tous les cas une opération de recyclage, une tentative de perpétuer ce qui ne peut plus être. C’est un processus aussi vieux que la littérature du moment qu’il y a transmission vers le public et passage du manuscrit/tapuscrit au texte publié/diffusé.
Voilà une ébauche de réflexion. Un tissage avec le billet de Laurent, un processus qui par sa dynamique ne pouvait exister à ciel ouvert avant le web. C’est déjà pas mal.