J’écrivais à la main, souvent sur des carnets, je dérapais en dessins, arabesques, gribouillis, mêlant pensée verbale et gestes primaux. Je m’appuyais à une vieille souche, me casais entre deux rochers à l’abri du mistral ou du marin, le soleil à l’aplomb sur la feuille pour qu’il sèche vite les aplats d’aquarelle. Je me penchais, me tordais, secouais mes jambes, adepte de l’écriture totale.
Et puis j’ai pris l’habitude du clavier, même pour penser. Le carnet peu à peu s’est tari parce que l’écriture est devenue sédentaire, une écriture de bureau, de table de travail, de fait quelque peu sérieuse, même quand elle invoque l’imagination parce qu’elle n’est plus en prise directe avec la matière.
Le Net éloigne aussi mes amis. Il les tient à distance infinie, au-delà du filtre électronique. Pas d’odeurs, pas de gargouillis, pas de chaleur. Les corps des autres ont aussi disparu de mon écriture. Je suis devenu un esprit éthéré, insensible à sa propre chair.
J’ai repris conscience au cours de mon sevrage numérique en 2011. Mon corps me revenant avec toute sa pesanteur, puis bientôt ceux des autres. J’étais à nouveau mortel, fragile, humain, avec ce clavier inhumain pour le dire.
Alors j’ai cherché. J’ai sorti ce clavier dans la rue, au bord des plages, au sommet des montagnes. Le plus souvent pour ne pas l’utiliser, tant sa texture, son poids technique contredisait le spectacle déroulé sous mes yeux.
J’ai encore cherché. J’ai commencé à expérimenter la saisie tactile. J’ai retrouvé une vieille liberté en même temps que de nouveaux outils, plus proches du geste, plus en accord avec ma posture. Je n’en suis qu’au début de ce nouveau voyage où le corps et le numérique ne s’opposent plus, où enfin l’un et l’autre s’augmentent plutôt que se nient. J’en suis encore à la première esquisse maladroite.
Mais je sais avec certitude que chez moi et beaucoup d’autres des textes nouveaux jailliront de la liberté retrouvée, condition sine qua non pour qu’émerge un corps nouveau.