À la lecture d’Amazon méprise l’alchimie sociale de Paul Vacca, on pourrait être tenté, en effet, de croire qu’Amazon a créé les ebooks. Cet article confond l’attaque contre l’entreprise et contre une des familles de produits qu’elle commercialise de manière non exclusive. Il me semble qu’il faut sereinement démêler ces deux lignes qui n’entretiennent, à mon sens, aucun lien.
Comme Jean-Baptiste Malet, on peut critiquer Amazon. Moi aussi je me méfie des entreprises qui développent une volonté de puissance trop visible, au prix des règles qui valent pour tous les autres acteurs sauf elles-mêmes. Alors on peut s’en prendre à Amazon, en faire un cas d’école, dire contre cette espèce de pieuvre ce qui est vrai de presque toutes les autres d’une taille comparable. En revanche, il ne faut pas en profiter pour assener de fausses vérités sur le livre numérique.
Le marché ebook est faible en France parce que les éditeurs freinent des quatre fers en maintenant des prix élevés pour toutes les nouveautés.
Le marché ne se tasse ni aux US ni ailleurs. Quand une étude voit une stagnation, une autre annonce que les ebooks supplanteront définitivement les livres papier en 2015 (j’écris vite, ne me demandez pas de sourcer, explorez les archives d’ActuaLitté).
Bientôt l’encre électronique sera aussi rapide que les écrans classiques... des tablettes liseuses arrivent… certaines avec des écrans souples et couleurs. On oublie trop souvent que nous sommes aux premiers jours des interfaces de lecture.
De nombreux les lecteurs qui basculent sur liseuses ont du mal à faire marche arrière. Je ne sais plus vraiment lire sur papier.
L’électronique permet de nouvelles politiques éditoriales, de nouvelles œuvres... bientôt le papier sera incompatible avec la création contemporaine.
Dire que la littérature privilégie le papier, c’est ignorer tout de la littérature contemporaine qui selon moi ignore le papier. Par exemple, allez donc lire Juliette Mezenc.
Le Kindle n’est pas fermé. Calibre le prend très bien en charge. On peut y lire tous les livres disponibles.
Le livre électronique est de fait potentiellement accessible en tout endroit, et même depuis le blog de l’auteur directement au lecteur. Cela grâce au Net, et non pas grâce à un quelconque acteur qui voudrait s’arroger ce droit en exclusivité.
Cette accessibilité est en elle-même révolutionnaire. C’est le moyen pour chacun de nous de créer une société plus horizontale, plus complexe, plus difficile à contrôler, où nos libertés individuelles grandissent (c’est le sujet de tous mes essais, je ne développe pas).
Cette accessibilité n’est pas un mirage. De nombreux best-sellers américains 2012 proviennent de l’autopublication. Je ne m’en réjouis pas spécialement parce que nous avons la preuve que le public plébiscite souvent des livres dont même les éditeurs ne voudraient pas. C’est peut-être regrettable, mais je ne vois pas pourquoi le public ne pourrait pas dicter ses choix. N’est-ce pas en quelque sorte la définition de la démocratie ?
Le livre numérique est tout aussi une cosa sociale que le livre papier (La stratégie du Cyborg). Il n’est lu, et parfois même écrit, que s’il est soutenu par une communauté, et cela indépendamment de ses qualités intrinsèques.
Des auteurs écrivent les livres électroniques. Il ne faudrait pas l’oublier. Il ne faudrait pas les mépriser parce qu’ils ne publient pas en papier. Certains des auteurs les plus créatifs aujourd’hui ont volontairement renoncé au papier (et mieux : leurs œuvres ne veulent pas du papier).
Alors, oui, tapons sur Amazon, et sur toutes les entreprises qui usent de méthodes déloyales, mais pas pour tuer le livre numérique. Sinon le combat devient ambigu, se brouille, on n’y comprend plus rien. Faut pas tout mélanger.
Quand on critique le capitalisme comme Paul Vacca, on devrait plutôt faire l’éloge du livre électronique. Il autorise la décentralisation, donc la réappropriation de l’outil de production éditorial par les auteurs autant que par les éditeurs (on parle souvent de néomarxiste). On peut dénoncer Amazon comme Apple de vouloir s’approprier ce marché. On doit s’opposer à eux. Le livre électronique n’a rien à voir avec leur voracité qui s’étend malheureusement à bien d’autres domaines.