Quand on parle d’Open Source en public, la plupart des gens n’y croient pas. Ils estiment que cette « idée du partage » ne peut pas marcher hors de l’informatique. Et ce monde de l’informatique, ils ne l’aiment guère. Ils n’en connaissent que les produits vedettes et les milliardaires qui prospèrent avec eux. Entre le spectacle de leur rapacité et l’Open Source, le gouffre paraît infranchissable. Une brume nauséeuse s’élève qui détruirait même la plus belle des utopies.
Pour la dissiper, on peut alors invoquer d’autres applications de l’Open Source dans les domaines de la mécanique, de l’électronique, de l’impression 3D, de l’agriculture, du design… Mais on reste dans l’underground, donc assez loin du réel le plus bassement matériel. Pourtant nous devons tous, sinon notre vie, au moins notre santé, à une application Open Source méconnue : le gel antibactérien… utilisé pour lutter contre la grippe mais aussi, et surtout, dans les hôpitaux.
Un jour en Afrique, Didier Pittet, qui avec son équipe a mis au point le gel et son protocole d’usage pour les médecins, découvre que l’hôpital qu’il visite achète les flacons de gel dix fois plus cher qu’à Genève. Son sang ne fait qu’un tour. Il explique aux pharmaciens de l’hôpital comment fabriquer leur propre gel, pour presque rien. Et pour que tous les pharmaciens de la planète puissent les imiter, il rend publique sa formule.
Il aurait pu déposer un brevet, devenir multimilliardaire, il n’a pensé qu’aux vies que son innovation pouvait sauver, contre l’avis des groupes pharmaceutiques. Depuis cette décision, le taux d’infection nosocomiale a été divisé par deux. Deux fois moins de personnes décèdent ! Des milliers de vies sauvées quotidiennement. Didier Pittet est devenu « L’homme qui lave les mains ». Il parcourt le monde pour expliquer les règles d’hygiène les plus novatrices. Il a été anobli par la reine d’Angleterre. On cite son nom pour le prix Nobel de la Paix. Il a amélioré le quotidien de centaines de millions de personnes, peut-être plus que nul homme avant lui.
En avril 2012, mon amie Geneviève Morand m’appelle toute excitée : j’ai rencontré un homme extraordinaire, il faut que tu racontes sa vie. Quelques jours plus tard, je rencontre Didier, et c’est le coup de foudre. Il me raconte son histoire et je prends conscience d’être en face d’un des vrais héros de notre époque. Il éclipse dans mon panthéon tous les tycoons des nouvelles technologies. Didier nous montre la direction qu’eux nous promettent sans l’oser. Ce médecin-chercheur a du charisme à revendre, raconte des d’histoires extraordinaires, ses yeux toujours brillants. En sa présence, j’étais heureux de vivre.
Maintenant que j’ai bouclé mon Ératosthène, manuscrit du roman en relecture chez Fayard, je peux m’attaquer à la vie de Didier. Je vais retourner à Genève passer une semaine avec lui, je vais le suivre au quotidien, parler avec sa famille, ses collègues. Je vais prendre les pas de Joseph Kessel quand il écrivit Les mains du miracle.
Je ne sais pas quelle forme prendra ce récit, en toute probabilité je tenterai d’écrire un livre. Je ne sais pas si je le doublerai d’une présence web. Je serai tenté de le faire si j’avais confiance à la force prescriptive de la communauté des lecteurs, mais, si vous avez lu mes derniers billets, vous savez que je doute quant à la puissance actuelle de cette forme particulière de cinquième pouvoir. Et simplement donner à lire ce que j’écris au jour le jour ne me contente plus. J’ai songé à créer une section fermée sur ce site, réservé aux abonnés pour refaire communauté dans un espace confiné. J’ai déjà tenté une fois cette manœuvre sans grand succès créatif. Je suis à court d’idées de ce côté, donc je vais simplement écrire la vie de Didier Pittet, sans trop anticiper la suite.