Pratiquer la twittérature procure des sensations extraordinaires, dignes des drogues les plus stimulantes et hallucinantes. Trois effets se conjuguent pour aboutir à cette alchimie stupéfiante. 1. Contrainte. Elle change la perspective de l’auteur, lui donne à voir la réalité et son écriture sous un angle inhabituel.
Live. Le lecteur guette les tweets, pousse l’auteur à l’excellence, lui donne un sentiment d’urgence.
Interaction. Les liens soumis sont autant de visions, de déviations, d’incitations pour l’auteur à s’écarter de sa pente naturelle. Ils le soumettent à un bombardement corpusculaire ininterrompu qui engendre sans cesse des mutations inattendues dans sa pensée.
Malheureusement, cette drogue perd de jour en jour de sa puissance. Même si l’auteur n’a pas beaucoup d’amis, eux en possèdent en assez grand nombre, pour être distraits de sa prose. Ils suivent les stars, les politiciens, les médias. Les fenêtres des immeubles d’en face ne cessent de s’ouvrir et les gens de crier des insultes ou de prétendues blagues. Impossible de ramener le silence sur Twitter. Le vacarme s’amplifie. Il nous fera bientôt tous exploser de stress. Rien de bon pour un auteur venu chercher la stimulation ultime.
Si la contrainte subsiste, le live met l’auteur en concurrence avec les chats écrasés, l’interaction s’amenuise faute de temps, temps dévorés par les millions de stimulus contradictoires. La nanolittérature dans toute la largeur de son spectre ne peut plus se pratiquer sous Twitter. Il faut aller l’expérimenter dans d’autres régions du Web, qui elles-mêmes ne peuvent rester à l’écart du bruit en croissance exponentielle, et dont il est presque impossible de se protéger, si on reste connectés aux réseaux sociaux.
La littérature sociale est donc morte sous sa forme stupéfiante. Elle est devenue jeu ou coup marketing. Elle n’est donc plus littérature exploratoire. Il nous faut encore une fois inventer autre chose, découvrir un nouveau speed que le bruit ne transformera pas en migraine.
La twittérature n’aura ouvert qu’une brève fenêtre dans l’histoire de la littérature à contrainte, comme le cubisme dans l’histoire des arts plastiques. Terminé, plus rien à voir. Cherchons ailleurs les paradis numériques artificiels.