Dans le jeu de la vie, ce Go évolutionniste auxquels s’adonnent les apprentis programmeurs, il existe des jardins d’Éden. Configurations auxquelles on n’aboutit jamais.
Aux Échecs, des situations semblables peuvent être imaginées. Leur impossibilité désoriente les grands maîtres.
Gregory Chaitin a démontré que dans l’ensemble des nombres réels, une infinité de nombres n’avaient aucune existence. Aucun calcul ne mène à eux.
Ces trois exemples montrent que l’évolution entre une position permise et certaines autres positions n’a aucune chance de survenir. C’est vrai dans le monde des jeux, en mathématique, sans doute aussi dans nos sociétés.
En toute probabilité, nos monnaies actuelles ne transiteront jamais vers un mécanisme de création monétaire décentralisé. Jamais ceux qui profitent de la création ne la concéderont. La seule solution est alors d’imaginer un jardin d’Éden à partir duquel booter un nouveau système monétaire. OpenUDC pourrait être ce système, si seulement la communauté des développeurs s’en saisissait.
Mais ça coince.
Des libristes inconsistants
Sans monnaie libre reposant sur un revenu de base, il ne peut exister de logiciel réellement libre. Sans monnaie libre, les développeurs dépendent pour leur subsistance d’une monnaie privative telle que l’euro. Une économie du partage n’est possible que grâce à des monnaies équitablement partagées, et crées. La priorité de tous les développeurs devrait être de mettre au point la technologie ad hoc, plutôt que de perdre du temps à cloner des produits commerciaux.
Espoir insensé dans le crowdfounding
Cette technique de financement par le don communautaire restera marginale. Elle profite avant tout aux créateurs de plateformes, qui ponctionnent les échanges, et qui dans leur plan marketing se pressent de mettre en évidence quelques success-stories. Mais une société ne repose pas que sur des stars. Son économie doit profiter à tous. Le crowdfounding n’a aucune chance de fonctionner à grande échelle dans un système monétaire reposant sur la rareté. Aujourd’hui, le partage ne se joue que sur les marges, et il renforce la position des dominants (Google, Facebook, Apple…), qui d’un côté prône ce partage, mais eux-mêmes ne le pratiquent pas, ou très peu.
La piste intérieure
De nombreux acteurs du libre, du partage, de la neutralité du Net pensent poursuivre leur effort grâce aux dons extraordinairement généreux de quelques institutions ou fondations. Ils risquent alors d’être avalés par le système qu’ils comptent rénover. Bénéficiant à titre exceptionnel d’une ressource rare, ils se verront attachés à leurs ennemis, à moins que la tactique du judoka ne soit toujours à leur esprit : détourner la force de l’ennemi contre lui-même.
Est-ce tenable à longue échéance ? Le capitalisme a toujours autorisé en lui-même sa propre critique, mais dans une limite qu’il juge raisonnable. Le partage n’est pas dans son ADN. Le partage est un moyen pour quelques acteurs de capitaliser. L’oublier, c’est perdre son temps, s’illusionner dangereusement.
Rebooter ne sera pas simple. Sans doute le nouveau système monétaire sera très vite interdit, mais tant que nous communiquerons, nous pourrons l’utiliser. Et si le modèle de société qu’il engendre est plus juste, plus inspirant, plus excitant, il s’imposera.
Communiquer est le maître mot. Il faut commencer, dès à présent, entre des acteurs de champs encore disjoints, mais qui n’engendreront des transformations profondes que les uns avec les autres. Pas de libre, de domaine public, de gestion sereine des biens communs, sans revenu de base et réciproquement. S’enfermer, refuser la transversalité, c’est encore une fois se condamner et faire le jeu des apôtres de la rareté.
On a rebooté une société sans esclaves (pending). On a tenté de rebooter une société où femmes et hommes ont les mêmes droits (pending). Un reboot n’est jamais instantané, jamais gagné, mais il n’existe parfois pas d’autres échappatoires. J’espère que nous aurons la sagesse d’éviter une guerre de Sécession.
PS : Billet qui résume une soirée passée à refaire le monde avec Lionel Morel, Silvère Mercier et Stéphane Laborde.