L’histoire de l’art nous a familiarisés avec les périodes : impressionnisme, pointillisme, fauvisme… Et si le Net connaissait aussi des périodes ?
En 1907, Picasso et Braque inventent le cubisme, grandement influencés par Cézanne. En 1914, ils s’en détournent, quelques peintres poursuivent le mouvement jusqu’en 1921. Depuis, le cubisme est une affaire de peintres du dimanche. Il a continué d’influencer l’art, tout en ayant par lui-même perdu sa fécondité, et jusqu’à sa nécessité d’être.
Je prétends qu’il en va de même pour Twitter, et pour Facebook dans une large part. Il est alors logique que les premiers expérimentateurs éprouvent l’envie de se détourner de ces services, d’autant plus qu’ils s’y étaient engagés comme Laurent Margantin pour des raisons esthétiques.
Quel bonheur depuis plusieurs semaines de ne plus penser par tweets interposés et sous forme de tweets ! m’écrit Laurent dans un mail.
C’est bien d’un rejet de la forme qu’il s’agit, exactement comme pour Picasso et Braque, dès 1914. À un moment donné, on prend conscience qu’elle ne nous nourrit plus, qu’elle n’est plus en elle-même source de jaillissement. Il faut alors avoir le courage de s’en détourner, sous peine de pédaler surplace.
On a commencé à se parler avec des messages courts grâce aux SMS, en même temps on a découvert l’instant messaging avant de basculer sur Twitter. On peut ainsi voir trois moments dans cette époque du « bref ». Ils nous ont habitués à une esthétique qui a engendré son vocabulaire, sa syntaxe et jusqu’à sa littérature.
À un moment donné, toutefois, on peut se sentir à l’étroit dans cette forme. On peut avoir l’impression d’étouffer. Et franchement de trouver que tout cela sent le rance. Un peu comme les tableaux cubiques des années 1920. Ok. On a vécu une époque formidable, mais elle est terminée.
Si cette forme de conversation ne nous séduit plus, où donc se parler ? Parce nous en avons besoin. Les cafés ne peuvent plus nous satisfaire. Nos amis sont partout. On veut les avoir sous la main. Nos conversations doivent passer par le Net. Le lieu où elles pourraient à nouveau y être fécondes n’existe pas encore.
J’ai parlé de Tent. Pour l’heure, on y parle comme sur Twitter. Personne ne quittera les réseaux existants pour des raisons politiques (la décentralisation). Le niveau de conscience est bien trop faible. Il faut donc offrir un mode de conversation qui retrouve sa fécondité. En attendant, soit on quitte les réseaux sociaux comme Laurent, soit on râle comme moi et on ne les consomme qu’à dose homéopathique, en attendant mieux.
Je sais qu’un tel billet aura le don d’énerver les petits ducs de Twitter. Quand on critique leur monarchie, c’est leur royaume qui menace de rompre. Ils y ont péniblement construit une audience. Ils en tirent parfois bénéfice. Ils ont envie que rien ne change. Leur existence même signale la fin de la fécondité.