Quand j’ai écrit « Si vous êtes l’auteur d’œuvres indisponibles, publiez-les immédiatement plutôt que de râler contre le SNE, la SGDL, Google… », les auteurs déjà actifs sur le numérique m’ont approuvé, les autres désapprouvé.
C’est sans doute un résumé grossier de la situation, qui souffre quelques exceptions, mais je ne crois pas beaucoup me tromper. Il est vrai toutefois que mon billet, même s’il proposait une marche à suivre, n’était pas très constructif.
Sur Facebook, Yal a déclaré que j’oubliais le Do It Together. Je ne crois pas. La solution 1, passer par un éditeur numérique pure player pour rendre disponibles les indisponibles, est bien une solution coopérative, il suffit de jeter un œil du côté de publie.net pour s’en persuader.
Mais il est peut-être possible de créer une assos d’intérêt public qui pourrait s’appeler indisponibles.fr, domaine étant à cet instant encore en vente, qui aurait pour seule fonction de verrouiller les textes indisponibles pour les remettre dans les mains de leurs auteurs.
Pour cela, rien de très compliqué. Il ne s’agit pas d’éditer les textes aux petits ognons, ce qui est le travail des éditeurs, mais de les rendre disponibles, et dans ce cas un scan et un PDF suffisent.
Deux cas.
Œuvres à bout de souffle
Sur les 400 000 ou 500 000 œuvres indisponibles, j’imagine que 99 % une fois publiées ne rapporteront rien, sinon croyez-vous que les éditeurs les auraient laissées en déshérence ?
Quand je dis rien, c’est rien à titre individuel. Si ces œuvres étaient disponibles en papier, les auteurs n’en tireraient pratiquement aucun revenu. Il se passera la même chose en numérique.
En revanche, l’effet longue traîne, des micros-bénéfices cumulés sur des centaines de milliers d’exemplaires, apportera des revenus substantiels aux opérateurs, c’est-à-dire aux éditeurs mais surtout à Google et aux sociétés de gestions des droits.
Ces dernières sont les plus suspectes. Leurs employés gagnant en moyenne plus de 80 000 euros par an, source enssib.fr vers laquelle Nicolas Ancion a attiré mon attention. Depuis les longtemps, ces sociétés pillent les auteurs. Combien gagnent plus de 80 000 euros par ans ? Sous prétexte de nous protéger, elles nous tondent. Les auteurs sont depuis toujours les dindons de la farce. Et ça continuera si nous ne nous défendons pas en contre-attaquant.
Pour nos œuvres en fin de vie financière, il nous suffit de les rendre disponibles sous licence Creative Common. Elles seront disponibles, reversées au bien commun de l’humanité, sans que plus personne ne soit capable de se les accaparer. Et peut-être alors connaîtront-elles une seconde vie !
Œuvres rentables
Combien d’œuvres financièrement rentables pour les auteurs sont indisponibles ? Sans doute peu, mais qu’importe. C’est aux auteurs eux-mêmes de juger s’ils doivent placer leurs œuvres dans cette seconde catégorie ou dans la précédente.
Dans ce cas, il suffit de mettre en vente l’œuvre au prix prohibitif de 1 000 euros. Elle sera effectivement disponible, mais personne ne l’achètera. Elle sera verrouillée en quelque sorte.
Nous aurions ainsi une base de données des œuvres estimées à potentiel par leurs auteurs (même si j’ai plutôt tendance à faire confiance aux lecteurs pour estimer ce potentiel).
La balle est dans le camp des auteurs. Je suis certain que de nombreux juristes pourraient intervenir pour aider au processus. Depuis le début de la lutte contre le SNE, la SGDL, Google… plus de temps a été investi en récriminations qu’il n’en aurait fallu pour créer indisponibles.fr.
Le bien commun
Quand j’ai affirmé que « Nos œuvres ne nous appartenaient pas si nous refusions de nous en occuper », j’ai vu des auteurs se révolter. Je suis plutôt inquiet de leurs réactions, surtout quand ils me traitent de communiste. Vous passez à côté de la révolution numérique.
D’abord, j’ai j’écris « si nous refusons de nous en occuper. » Je crois qu’il existe pour Paris et les grandes villes une loi qui force les propriétaires à louer les appartements laissés trop longtemps inoccupés (loi justifiée par la crise du logement). C’est comme si un jardinier se proposait de cultiver un jardin laissé à l’abandon tout en redistribuant quelques légumes à son propriétaire. Peut-on interdire cette pratique au nom du droit de propriété ? Je ne le pense pas. À mon sens, on ne peut pas soustraire une richesse à la communauté. Cela me paraît d’autant plus important quand il s’agit d’une œuvre. Soit l’auteur s’en charge, soit un tiers.
Quand Gallimard empêche François Bon de publier sa traduction du Vieil homme et la mer, il agit comme un propriétaire qui laisse son jardin en friche. Un auteur qui ne s’efforce pas de rendre disponibles ses œuvres les abandonne. Celui qui cherche à les publier, ne le vole pas, il lui rend service, et surtout service à la communauté, d’autant plus s’il passe par une licence Créative Common.
Il ne s’agit donc pas de prendre les biens des riches pour les redistribuer, mais de faire vivre les propriétés culturelles que les riches délaissent. La nuance me paraît de taille.
Maintenant, je dois avouer que je ne suis pas loin de penser que « Nos œuvres ne nous appartiennent tout simplement pas. » J’écris pour mes lecteurs présents et à venir. J’espère gagner de l’argent, mais cet espoir est secondaire par rapport à mon besoin de partager. J’attends à recevoir juste assez de ressources pour pouvoir continuer à écrire librement.
Voilà pourquoi je suis pour l’instauration d’un revenu de base qui assurerait un revenu à tous les citoyens et qui stimulerait la création. Pensez à tous ceux qui renoncent parce qu’ils vivent dans des conditions trop difficiles. Ils n’ont pas nécessairement moins de talent que vous, ils ont surtout eu moins de chance. Depuis trop longtemps, l’humanité passe à côté d’une richesse gigantesque.
Nos politiciens veulent relancer la croissance, c’est la croissance créative qu’il faut relancer, une croissance en grande partie immatérielle et qui n’a que faire du PIB. Que les auteurs, supposés être les précurseurs, s’arcboutent sur une conception étriquée du droit d’auteur me terrifie. Nous créons pour la communauté. Nous bloguons pour elle. La licence Creative Common est un choix naturel pour libérer les œuvres indisponibles. Une façon de s’opposer à l’ultracapitalisme tout en militant pour une culture ouverte.
Nous avons l’occasion d’innover culturellement, together comme dirait Yal. Si nous usons de notre énergie pour lutter contre les anciennes structures de pouvoir, nous ne faisons que les renforcer, parce que nous oublions dans le même temps de bâtir des alternatives.
Personne ne doute que les indisponibles doivent être rendus disponibles (je devrais dire presque... mais il me paraît absurde de perdre la mémoire). Soit nous laissons faire le travail à d’autres, soit nous le faisons nous-mêmes. Pour le moment, aucune loi de nous l’interdit. Nous devrions en profiter.
Ironie de l’histoire, nous pourrions même demander à Google de numériser nos œuvres gratuitement, en lui laissant la possibilité de les diffuser en licence Creative Common.
PS : Suite à cet article, David Queffélec, animateur de la revue Angle Mort, a décidé de lancer insiponibles.fr sous forme d’une coopérative d’auteurs.