Quand j’ai lancé « T’es pas codeur, t’es pas auteur », c’était une de mes habituelles provocations. On m’a répondu « T’es pas boulanger, t’es pas auteur ». Ce n’est pas aussi simple, surtout quand la proposition est étendue aux éditeurs.
Pour moi, coder, c’est écrire. Pensez au Tractatus de Wittgenstein, vous comprendrez ce que je veux dire. J’ai écrit La stratégie du cyborg et L’édition interdite comme des programmes. Chacun des aphorismes est une sorte d’instruction pour le cerveau du lecteur. Quand Nicolas Ancion dit que je me contredis parfois, c’est en fait que je crée des boucles ou des sauts en arrière dans le code, j’espère en toute conscience.
Je ne crois pas à la pensée toute droite, idéaliste, universelle. Je me méfie de la beauté trop parfaite. Elle ne m’intéresse pas. J’aime dans les paysages bucoliques les lignes électriques qui les déchirent. Pour moi, tout processus est bancal. Je suis bancal. Je me dois de ne pas cacher mes contradictions internes.
Coder, c’est écrire. Écrire, c’est coder. Ces deux activités sont intimement liées. Je les pratique dans la même position, face au même écran. Et je sens qu’elles mobilisent en moi les mêmes ressources. Coder étend le champ des possibles pour l’écrivain.
Vous me direz que pétrir son pain aussi. Que tout ce que nous faisons contribue à nous enrichir. C’est vrai. Mais le code joue de l’écriture même et peut influencer le texte produit, dans sa forme, son organisation, sa présentation au lecteur… Nous ne faisons que lever un voile sur ce que peut être un auteur au temps du numérique.
Si nous pouvons encore être des auteurs sans être des codeurs, utilisant les codes des autres, WordPress par exemple, il me paraît impossible d’être un éditeur numérique sans incorporer dans son équipe, et à chaque instant, un codeur. Il ne s’agit pas de recourir à un prestataire de temps à autre, mais de placer le codeur au cœur, à égalité avec les éditeurs.
Un auteur numérique ne produit pas des textes figés. Il doit rester en éveil sur ses créations, les faire vivre, leur donner la possibilité d’évoluer, sans pour autant renoncer à les partager avec ses lecteurs. C’est aussi une dimension de l’écriture qui a été peu exploitée jusqu’ici, à cause de la lourdeur des procédés éditoriaux.
Aujourd’hui, il ne nous vient pas à l’idée de ne pas pouvoir corriger a posteriori un billet sur un blog, de lui ajouter des liens, des notes, des paragraphes, des commentaires… Les autres textes doivent bénéficier de la même malléabilité propre au numérique. Je ne cesse ainsi de produire de nouvelles versions de L’alternative nomade.
Dans le processus éditorial, le code intervient nécessairement entre la source textuelle et ses représentations destinées à la diffusion (epub, PDF, mobi…). Certes, on peut utiliser des logiciels de mise en forme pour générer ces fichiers, mais, alors, toute modification sérieuse de la source implique un long travail manuel de remise en forme.
S’il faut deux jours pour créer un epub, vous pouvez parier qu’aucun éditeur ne s’amusera à le recréer chaque fois que l’auteur en exprimera le souhait. Si tel est le cas, il ne fait que mimer en numérique l’édition papier.
Pour dépasser ce blocage, la mise en forme doit s’effectuer à l’aide d’un code qui prend la source textuelle, la reformate en épousant sa logique et génère un fichier de type XML (l’epub étant aujourd’hui ce que nous avons de mieux). Le travail de mise en forme ne doit être effectué qu’une fois, par codage. Sa répétition n’exige alors aucun effort. Il faut recompiler la source, c’est tout. Alors la fluidité propre à l’écriture numérique s’étendra à l’édition numérique.
Je ne théorise pas en l’air. J’ai développé mon propre compilateur epub pour digérer mes textes. Je vais appliquer une fois de plus la méthode pour générer dès demain une version 1.1 de L’édition interdite.
PS : Lorsqu’on effectue manuellement une tâche répétitive dans le monde numérique, c’est qu’on n’utilise pas les potentialités de ce monde. Les logiciels sont des outils qui ne sauraient toujours se substituer au code. C’est pour cette raison que tous les logiciels évolués disposent d’un langage de programmation interne.