Quelle est l’origine de la grogne, puis de l’exaspération, puis de la révolution ? Où est-ce que le peuple puise l’énergie de tout remettre en question ? En lui-même et nulle part ailleurs !
En Tunisie comme en Égypte, c’est une révolte de connecteurs. Une révolte d’hommes et de femmes qui d’égal à égal se motivent pour changer le monde. Sans programme politique explicite. Sans leader déclaré. Sans parti aux commandes. Sans organisation pyramidale (ce qui ne signifie pas désorganisation).
Que se passe-t-il après la chute du gouvernement tunisien ? On parle immédiatement, sans guère réfléchir, d’instaurer un nouveau gouvernement. Les partis ressurgissent comme des vautours autour d’une charogne. Ils n’ont joué aucun rôle dans la révolution, mais ils entendent la récupérer. Alors cette révolution n’aura servi à rien.
Je suis tout cela de loin. Via quelques messages glanés sur Twitter. J’évite de consulter les médias. N’étant pas en Tunisie, je ne peux que m’insurger contre ce que je perçois. Je vous parle de mon ressenti et de rien d’autre.
En Égypte, j’entends qu’on rassemble les partis autour d’une table de négociation. Mais les partis n’ont pas fait grand-chose pour remettre en question l’ordre établi. Cette révolte surgit de l’interconnexion du peuple. Une interconnexion qui ne cesse de grandir et qui propage de plus en plus vite toutes les exaspérations.
Alors des nouveaux gouvernements seront nommés. Bientôt ils tomberont dans les mêmes travers que les précédents. C’est inévitable. La complexification du monde rend ce monde de moins en moins gouvernable par des structures de pouvoir traditionnelles. Pour essayer de sauver la face, elles glisseront toutes vers l’autoritarisme. Nous voyons cette tentation même en France.
En France d’ailleurs où les manifestants de l’automne 2010 ont aussi agi en connecteurs, d’eux-mêmes, sans que les centrales syndicales ou les partis ne soient à l’avant des revendications, des revendications pour le moins tous azimuts.
Si Sarkozy était tombé à cette occasion, que se serait-il passé ? Absolument rien. Nous aurions voté, un nouveau gouvernement aurait répété les mêmes erreurs et nous aurions bien vite connu de nouvelles manifestations. Elles se répèteront de plus en plus souvent, de plus en plus massivement, partout. Pour le moment, le vieux monde s’effrite sur sa frontière méridionale.
Une fois interconnectés, les gens se parlent et plus personne ne peut les faire taire. Mais détruire pour reconstruire à l’identique ce qu’on vient de détruire c’est du temps perdu, du sang qui coule pour rien. Avant de parler de nouveaux gouvernements, il faut passer par une phase constituante. Il faut réécrire le système d’exploitation de la société. Les Islandais se sont attaqués à ce travail. Il n’y a pas d’autres possibilités.
Après chaque révolte, il faut imaginer des gouvernances de plus en plus décentralisées, de mieux en mieux adaptées à la complexité, de plus en plus en phase avec la structure hautement réticulaire de la société. Changer les hommes au pouvoir ne change jamais rien. C’est la nature même du pouvoir qu’il faut changer.