Par chance pour l’explication qui va suivre, devant moi dans le classement il y avait un billet de Rue89. Comme toujours, en pied de page, le nombre de visites était indiqué : 25 306. Au même instant, mon billet totalisait 509 visites (je joue aussi la transparence sur mes stats).
Pour ma part, j’utilise les statistiques Google Analytics bien plus sévères que la plupart des compteurs de statistiques intégrés aux CMS comme celui de Rue89. Mais même si je divisais le score de Rue89 par deux, je serais encore ridicule.
L’article de Rue89 totalisait selon Wikio 106 tweets contre 59 pour le mien. Le score Wikio de Rue89 était de 158, le mien de 129. Si l’influence des réseaux sociaux était linéaire, Rue89 aurait dû afficher au mieux son article deux fois plus que le mien, pas 25 fois plus.
En totalisant les retweets et les like facebook, mon billet avait reçu 100 recommandations. Si je suis très généreux, chaque recommandation m’avait alors amené 5 visites. Je peux comparer avec un autre article très populaire chez moi, mon attaque contre les community managers : 588 recommandations pour 9 868 visites, soit un apport max de 16 visites par recommandations.
(Plus la date de parution d’un billet s’éloigne, plus un trafic naturel s’installe et moins l’effet booster des recommandations importe. Mon estimation de 16 visites par recommandation est donc très largement exagérée.)
À partir de ces chiffres, j’ai tendance à conclure que le bénéfice des recommandations augmente linéairement. Il y a peut-être un exposant qui traine mais il n’est sans doute pas gigantesque.
Que montrent ces calculs approximatifs ? Que sur les 25 000 affichages de Rue89, un faible pourcentage provient des réseaux sociaux et des liens de la blogosphère. Rue89 possède un trafic natif. Rue89 a des lecteurs fidèles en grand nombre. Rue89 est beaucoup plus influent que moi tant bien même mes articles seraient aussi linkés et recommandés dans les réseaux sociaux. Rue89 a été adoubé par les grands médias. C’est sur ce terrain qu’ils ont gagné leur influence. Par les vieilles routes.
Conclusion : tous les classements d’influence qui ne prennent pas en compte les statistiques trafics ne mesurent rien du tout, sinon le bruit produit dans un microcosme de geeks. Comme aucun classement n’intègre les statistiques, vu qu’elles ne sont pas publiques le plus souvent, tous les classements sont bons à jeter.
Quelle conclusion pour ma pomme ? En tant que blogueur, je ne peux pas vivre sans les réseaux sociaux mais j’estime qu’ils influencent peu la circulation globale de l’information. À l’échelle planétaire, elle dépend encore de l’audience des grands médias. C’est eux qui font l’actualité. Les réseaux sociaux ont peu, voire pas, d’influence.
Avec eux et avec les liens blogosphériques, le plus souvent, nous ne traçons que des sentiers de montagnes, presque jamais des autoroutes. J’ai souvent vanté la puissance des liens faibles. J’ai souvent dit que ce qui comptait c’était l’existence des sentiers pour qu’un jour ils puissent se réveiller. Je n’ai pas changé d’avis. Le potentiel est là. Mais il ne s’exprime pratiquement jamais. Mon influence est donc la plupart du temps totalement nulle. Il en va de même pour tous ceux qui n’ont pas une audience conséquente.
Les classements d’influence mesurent notre influence hypothétique au cas où, un cas qui ne se produira peut-être jamais. Mon influence sur les réseaux sociaux est disproportionnée par rapport à mon audience (de l’ordre de 800 visiteurs uniques par jour).
Tout peut changer en cas de catastrophe. Si les gouvernements s’attaquaient à Internet, ils commenceraient par censurer les gros sites et le réseau faible que nous tressons se réveillerait et deviendrait dominant. Nous bâtissons une architecture de crise. Nous deviendrons d’autant plus influents que le monde s’enfoncera dans le chaos. Nous nous préparons à résister. Nous sommes une espèce de sécurité sociale planétaire. Une force dormante.
Nuance toutefois. Un grand nombre de sites influents arrachent leur influence souterraine sans faire preuve de beaucoup d’inventivité ou de conscience politique. Plus on dit de conneries, plus on surfe sur l’actualité rabâchée par les médias dominants, plus on a de chance d’être en haut des classements d’influence. Autre astuce : s’engager en politique, de préférence avec un parti bien en vue, et récupérer tous les liens et toutes les recommandations des béni-oui-oui. Les classements ne mesurent souvent que notre propension au mimétisme le plus vil. N’empêche, ensemble, nous ouvrons des pistes dans la brousse.