Si j’aime les titres provocateurs, j’aime aussi les titres qui ont toutes les chances de dissuader les lecteurs. Je constate qu’une partie sans cesse croissante du trafic de mon blog provient des réseaux sociaux. Ces visiteurs arrivent chez moi par le plus grand des hasards, un hasard presque aussi grand qu’après une requête Google. Le plus souvent, ils lisent un article et repartent sans montrer plus de curiosité.
Dois-je m’en plaindre ? C’est une évolution que je n’aime pas beaucoup. De moins en moins de lecteurs reviennent billet après billet et ce n’est que par cette pénitence que l’on peut imaginer le blog comme aventure intellectuelle et littéraire : non pas une série d’articles décousus mais un chapelet de textes qui se répondent les uns aux autres et forment un ensemble.
Les visiteurs de passage, attirés par des mots clés de circonstance peuvent entretenir une forme d’e-réputation mais ils ne participent pas à La stratégie du cyborg.
Il me reste alors à recourir à une plus vieille tactique pour stimuler mon imagination : la fiction. Il me suffit de poser une situation romanesque et de m’y plonger avec quelques personnages pour que j’enchaîne des idées. En général, elles me sont familières, mais la fiction a pour vertu de les dérouler suivant une logique pour moi nouvelle et de les pousser dans des contrées que je n’avais pas explorées. Très vite, je finis par me surprendre.
On méprise souvent cette fiction prétexte mais j’espère vous avoir fait comprendre qu’elle n’a rien d’un prétexte. Sans la mise en scène, je n’aurais pas formulé l’essentiel des idées exposées. La fiction est intimement liée à ce qui est dit par les personnages et qui seulement en apparence aurait pu être développé dans un essai. Pour cette raison, elle ne peut être un prétexte.
Certains écrivains partent des personnages et n’ont d’autre but que de les incarner jusqu’à ce qu’ils génèrent une histoire et des comportements. En général, leurs livres me tombent des mains. Les véritables personnages, je les croise dans la vie. Je ne me sens pas un devoir de les mimer. En revanche, j’aime les personnages réellement fictionnels, peu consistants, ceux qui ne pourraient pas vivre hors des livres et qui par leur inhumanité amènent à décaler nos idées ordinaires.
J’ai achevé hier la seconde version de La tune dans le caniveau où j’imagine qu’un jour les imprimantes 3D seront interdites pour sauver le capitalisme. Je n’aurais pas tiré cette conclusion sans la fiction. Elle ne m’avait jamais traversé l’esprit avant. Pour cette seule raison, la fiction n’est ni un artifice, ni un prétexte. Elle a un pouvoir de stimulation et d’auto-génération dont aucun écrivain ne devrait se passer.