J’exècre de plus en plus Wired, tant l’idéologie success-stories l’imprègne. Il n’y est plus question que de businessmen qui réussissent selon les critères du xxe siècle. Il m’arrive néanmoins d’y grappiller quelques idées, comme dans l’entretien entre Kevin Kelly and Steven Johnson.
Ten years ago, I was arguing that the problem with TV was that there wasn’t enough bad TV. Making TV was so expensive that accountants prevented it from becoming really crappy—or really great. It was all mediocre. But that was before YouTube. Now there is great TV! […] To create something great, you need the means to make a lot of really bad crap. Another example is spectrum. One reason we have this great explosion of innovation in wireless right now is that the US deregulated spectrum. Before that, spectrum was something too precious to be wasted on silliness. But when you deregulate—and say, OK, now waste it—then you get Wi-Fi.
À cette déclaration de Kelly, Jonson répond :
This is another idea with a clear evolutionary parallel, right? If we didn’t have genetic mutations, we wouldn’t have us. You need error to open the door to the adjacent possible.
J’ai l’impression que le monde du livre papier ressemble à la TV. À force de vouloir maintenir un certain niveau de qualité tout en répondant à de lourdes contraintes économiques, les éditeurs ne produisent plus que des livres moyens. Je me fais cette remarque chaque fois que j’ouvre un texte édité aujourd’hui. Il n’y a plus guère que sur le Web que des textes me secouent.
Beaucoup d’auteurs sont effrayés par la possibilité pour tous de publier en numérique sans le filtre d’un éditeur. Ils craignent d’être submergés par des textes insipides et de voir les lecteurs se dégoûter. « Déjà qu’on nous lit peu, si ça continue on ne nous lira plus à cause de tous ces couillons qui viennent nous concurrencer sans rien connaître au métier. »
Je suis d’avis que nous devons adopter la stratégie YouTube. En laissant, tous les textes passer, nous aurons le pire mais aussi le meilleur. Avant YouTube, les clips d’amuseurs comme Vinvin ou Rémi Gaillard n’existaient pas. Personne n’avait même envie de les réaliser parce que personne n’avait le moyen de les diffuser. La libéralisation du monde de l’édition électronique stimulera la créativité textuelle. Des choses nouvelles émergeront qui seront meilleures que tout ce que peuvent produire les éditeurs avec leur filtre.
Nombre de blogueurs ont été tentés de créer des macarons pour certifier la qualité de leurs écrits et montrer qu’ils respectaient une certaine déontologie. Au final, les lecteurs ont toujours jugé. Aujourd’hui c’est à eux de filtrer et à nul autre. Nous n’avons plus aucune raison de faire confiance à un filtrage top down qui, par nature, réduit le spectre des possibles.
Le niveau moyen de la production littéraire a fabriqué un lecteur moyen qui aime être pris par la main et qui a peur de se perdre dans un texte. Il ne cherche souvent plus qu’à se divertir. Il répugne à se confronter aux idées qui se développent à travers de longs méandres, qui divergent puis foisonnent, et qui, au passage, ont une chance d’altérer leur configuration cérébrale. Lire ne les change jamais. Ils ne recherchent que l’évasion. Pour ma part, je ne lis que pour me changer. Je suis prêt à tomber sur des merdes pour avoir une chance de connaître l’illumination.
Je ne suis pas contre les éditeurs, bien au contraire, mais ils doivent amener un auteur à se surpasser, non pas le canaliser pour le conformer à un état arbitrairement défini du marché.