N’oublions pas le livre

L’odeur du papier, sa texture, sa solidité… conneries. Autant d’arguments débiles pour défendre le livre alors qu’il possède de véritables atouts politiques et subversifs par rapport au Web.

Le livre est compact, il se glisse partout, se cache, accueille des commentaires, c’est un objet social… mais surtout, une fois imprimé, un livre échappe à la censure. Un gouvernement peut interdire un livre, rien n’empêche les exemplaires préalablement diffusés de poursuivre leur vie, tant bien même l’éditeur est fermé. Le livre est un média décentralisé.

Un site Web apparaît plus fragile (seul le Web lui-même est décentralisé). Il suffit de couper le serveur d’hébergement pour abattre un site. Le situer dans un pays étranger n’est qu’une mesure de sécurité faible, surtout dans la perspective d’une chasse aux sorcières planétaire. Quant au nuage, il n’a de nuageux que son appellation, en vérité il est hyper localisé dans les locaux de quelques entreprises hyper-centralisées, donc hyper-vulnérables en cas de durcissement politique. Une descente policière dans les data centers de Google ou d’Amazon et vous imaginez la suite.

Nous devons nous inspirer du livre, cet objet autosuffisant, et en même temps ouvert sur l’extérieur, ne serait-ce que par les annotations. Nos contenus numériques ne doivent pas dépendre de la survie de leur source comme c’est le cas avec nos blogs. Une fois un texte propulsé, il doit poursuivre de lui-même sa vie, que l’auteur, l’éditeur ou le gouvernement le veuillent ou non. La vie d’un texte ne doit dépendre que de la volonté de ses lecteurs.

Avec le Web, nous nous sommes mis en position de faiblesse. Notre liberté d’expression émise depuis un point localisé est toute relative. On peut nous faire taire. Pour lutter, pour résister, pour réinventer, nous devons émettre de partout. Tout au moins, nos créations doivent pouvoir se dupliquer de mémoire en mémoire sans que nous puissions traquer leurs différentes instances. Un texte une fois propulsé ne doit plus nous appartenir.

Avec le Web, nous en sommes un peu au temps des textes gravés aux frontons des temples. Il est temps que nous réintégrions l’héritage du livre : mobilité, portabilité, liberté… Voilà encore une raison pour s’intéresser aux ebooks, textes numériques qui se réapproprient les acquis les plus politiquement vitaux du livre.