Je me répète toujours cette phrase du Guépard :
Il faut que tout change pour que tout reste comme avant.
La révolution m’apparaît comme une illusion dangereuse. Ce serait si beau, si, avec un coup de force, on pouvait changer la face du monde.
La révolution est trop simpliste, trop radicale, pour convenir dans un monde complexe. Elle ne permet de s’attaquer qu’à des centres de pouvoir qu’elle cherche à remplacer par d’autres, du jour au lendemain. Pour empêcher le climat de se dérégler trop gravement où faudrait-il taper ? Partout, c’est bien le problème.
Cet idéal combattant était peut-être concevable à l’époque des nations, où en changeant de régime politique on pouvait espérer changer la vie des hommes. Quoique, en ne changeant pas la structure du pouvoir, sa forme pyramidale, on retrouvait in fine les mêmes maux chez ceux qui exerçaient le pouvoir, puis chez ceux sur qui ils s’exerçaient.
La révolution faisait grappiller quelques progrès qu’il fallait défendre avec acharnement. On assiste aujourd’hui à l’affaiblissement constant de cet acharnement, nous laissons filer, personne ne s’insurge contre les manœuvres des banquiers, nous râlons, mais nous sommes encore bien trop gras.
Tant de postulats se sont ancrés dans l’ensemble de la population que les révolutionnaires du jour s’avèrent de piètres parodistes. Ils exigent des salaires plus élevés pour tous, oubliant de remettre en cause cette idée de salaire, cette aliénation suprême qui veut que nous soyons tous obligés de travailler en échange de quelque chose, comme s’il ne pouvait plus y avoir de gestes désintéressés.
Mais le tout gratuit est une chimère. Même à l’heure du revenu de base, des choses resteront rares et précieuses et tout le monde ne pourra les partager. La gratuité n’a de sens que pour les choses abondantes et celles que nous saurons rendre abondantes, par exemple avec les nanotechnologies ou les imprimantes 3D.
Il y aura toujours des choses à vendre. Les désirs resteront. Les conflits aussi. Après l’instauration du revenu de base, nous aurons effectué un progrès, comme après avoir reconnu l’ignominie de l’esclavage, puis l’égalité des hommes et des femmes… mais nous ne vivrons pas dans le meilleur des mondes.
Je suis fondamentalement d’accord avec Jean Zin : la notion de « décolonisation de l’imaginaire » (Serge Latouche) ou de « réveil des consciences » (Pierre Rahbi) est totalement insuffisante, car le grand problème est d’abord celui des institutions, écrit Paul Ariès. Nous avons besoin d’un principe qui guide nos pas et qui soit capable de fédérer notre action.
Pourquoi Ariès pense-t-il ainsi ? Parce que lui-même prône la société du don tout en étant incapable de donner (par exemple ses livres qu’il vend dans l’économie traditionnelle qu’il dénonce).
Chacun pense sa philosophie en fonction de ce dont il a la force. Chez Épicure, l’épicurisme était ascétique parce qu’Épicure souffrait de problèmes gastriques. Lucrèce nous présenta une vision moins austère de l’épicurisme. Même si nous ne savons rien de lui, nous pouvons supposer qu’il avait une meilleure constitution que son maître.
Alors, si on postule que les hommes sont incapables de se réformer, parce que soi-même on en est incapable, il ne reste qu’à espérer la révolution, c’est-à-dire réformer le reste du monde plutôt que soi-même. Pour que cette révolution soit possible, il faut qu’il existe un point central qui puisse être changé d’un coup de baguette magique. Ariès invoque les institutions. Elles sont le lieu où s’incarne son impuissance.
Mais les institutions sont-elles responsables de la surconsommation ? Aucune loi ne nous oblige à surconsommer. Pour s’attaquer à la surconsommation, la révolution doit être personnelle et non institutionnelle (les institutions peuvent au mieux aider).
Et puis, imaginez que nous changions les institutions, là, tout de suite, qu’est-ce que vous proposeriez ? Moi, je me tairais. Je me contenterais de dire « expérimentons ». Donnons la chance à une multitude de systèmes concurrents. Parce que nous ne savons pas ce qui peut marcher (et c’est valable pour le revenu de base, il faut tester des revenus de base). Mais si comme Ariès on prône la révolution, on est forcé d’avoir une réponse toute prête. Malheureusement, le bon sens n’est pas d’une grande aide en situation complexe.
La révolution ne marche que dans un système simple. Croire que changer les institutions peut nous sauver est une illusion, car personne ne connaît a priori les changements institutionnels à effectuer.
J’en reviens à mon idée fixe. Je ne vois qu’une solution : que ceux qui sont capables de vivre en accord avec leurs idéaux changent leur vie, qu’ils mettent en œuvre les expérimentations dont nous avons besoin pour donner plus tard du courage à ceux qui pour le moment manquent de courage.
Je m’adresse à ces courageux, à ces pionniers, à ces volontaires… Il faut que vous expérimentiez et il serait dangereux de demander à tout le monde de le faire, surtout de le faire tous de la même façon.
Qu’est-ce que je fais en publiant gratuitement des billets sur mon blog ? À mon petit niveau, en tant qu’écrivain, j’applique les principes auxquels je crois. J’ai l’espoir que des solutions se mettront en place parce que, les uns les autres, nous apprendrons à collaborer de manières nouvelles. J’estime que ceux qui, comme moi, ont la possibilité de prendre des risques, ont le devoir d’expérimenter.