Le monde est petit et l’on revient peut-être toujours à ses fondamentaux. Au milieu des années 1990, j’ai écrit Ne rien faire sans fainéanter, à la fois un essai et un carnet de voyage. Le sujet central était ce que j’appelais l’hyperconscience, moment de vie particulièrement intense où l’on a l’impression de tout comprendre, de tout maitriser…
En écrivant sur le Flux, en même temps que mon livre prenait un caractère de plus en plus initiatique, je n’ai cessé de me demander si je ne devais pas ajouter une cinquième partie qui aurait pour but de montrer que la vie dans le Flux peut justement provoquer l’hyperconscience.
Et puis je reçois un mail d’Iza qui, après sa lecture de la première partie de mon livre, me dit qu’elle a furieusement pensé à Vivre de Mihaly Csikszentmihalyi. Jamais entendu parler du bonhomme (Iza l’a déjà évoqué je sais bien mais je tilte pas à l’époque – comment se souvenir de ce nom ?).
Jeudi dernier de retour de Paris, je fais des recherches sur Mihaly Csikszentmihalyi. Je découvre que ce que j’appelle l’hyperconscience et que je compare souvent à l’expérience mystique, lui il l’appelle l’expérience optimale (ce qui est bien moins connoté et plus judicieux).
Je découvre aussi que Mihaly Csikszentmihalyi est le père de la psychologie positive. Étrange. Je suis ami avec deux des spécialistes françaises de ce domaine, Isabelle Filliozat et Corinne Cosseron. On a souvent parlé ensemble de leurs travaux et des miens sans jamais mesurer qu’ils pouvaient se rejoindre, moi versant plutôt dans le politique, elles plutôt dans le développement personnel.
Et voilà qu’avec L’alternative nomade je rejoins les deux bords. C’est en se changeant soi-même qu’on change la société. Et on ne se change soi même que pour poursuivre un bonheur plus grand. Nous ne sommes pas des philanthropes. Or, vivre dans le Flux peut nous approcher assez souvent de l’expérience optimale.
D’une certaine façon, après quinze ans de nomadisme, je viens de revenir à mon point de départ. Il est peut-être temps de commencer un autre cycle.
PS1 : J’ai lu la moitié de Vivre (et je vais continuer ce soir en alternant avec Krakauer). Je n’y apprends rien, sinon un vocabulaire intéressant. À part ça beaucoup de choses me dérangent, genre c’est parce que le monde va mal qu’il faut chercher le bonheur en soi (et en gros ignorer le monde). Politiquement Csikszentmihalyi me semble plutôt laxiste. Et puis il prétend nous expliquer comment fonctionne la conscience. Rire.
PS2 : J’en profite pour mettre en ligne la bêta 2.0 du livre. J’ai notamment introduit l’idée d’expérience optimale dès le début (ancien chapitre 2 transformé en 2 et 3, tout le reste décalé), j’ai rapporté une expérience toute récente qui démontre la prégnance du désir mimétique (chapitre 10) et j’ai ajouté un chapitre intitulé La tache rouge pour reclasser les divers approches du flux et réfuter l’accusation de relativisme que certains me font (chapitre 14). On peut rejeter Platon et rejeter le relativisme en même temps.